Nous sommes une famille de 6 qui avons eu le bonheur de vivre sur notre voilier Perla VII durant près d'un an

Les chevaux et la liberté

Ste-Augustine Floride, la ville la plus vieille des États-Unis. Rue pavée de briques, bâtiments à l’architecture espagnole, parc en bordure de l’eau. Nous voyons une calèche passer devant nous. Les filles nous disent d’instinct que le cheval à l’air triste. Si elles étaient un cheval, elles n’aimeraient pas travailler au chaud soleil avec un mors entre les dents. Ça doit être fatigant d’avoir ça dans la bouche. En bon parent, nous leur expliquons que ces chevaux ont toujours une place pour dormir la nuit, ont de la nourriture et de l’eau chaque jour, se font brosser, soigner dorloter par leur cocher lorsqu’ils ne travaillent pas. Du moins on l’espère.
Prochain arrêt, Cumberland Island. L’ile était le coup de cœur de toute la famille lors de notre passage il y a 6 mois. Il s’agit d’un parc national à la limite de la Georgie et de la Floride. Cette ile était la propriété autrefois d’une riche famille et l'on peut y voir les ruines de leur château. Au fil du temps, l’homme a introduit des chevaux sur cette ile pour divers travaux. En 1972, l’ile devient un parc et les chevaux sont retournés à l’état sauvage. Aucun soin n’est apporté par l’homme, ni nourriture ni eau. Entre 120 et 150 chevaux y sont répertoriés.
Cynthia demande à Alixia:  aimerais-tu être un cheval à Ste-Augustine ou à Cumberland? Sans hésiter, Ali répond à Cumberland.
-Mais ici, il n’y a pas beaucoup d’eau douce à boire, l’ile est entourée par de l’eau salée. Et puis la nourriture est difficile à trouver, les chevaux doivent marcher longtemps pour trouver les plantes qu’ils peuvent manger. Ils n’ont pas de soin, en plus il y a les moustiques et ils doivent se cacher sous les arbres lorsqu’il pleut.
-  Ouin…quand même Cumberland

À la barre dans cette Georgie sans fin, je me rappelle un capitaine à Beaufort qui nous avait dit :  Georgia…it’s take forever!!!  Mais les paysages ici sont à l’opposé de la Floride. Il n’y a rien, pas de bâtiment, que des rivières qui serpentent trop longtemps dans les marais et les bosquets. On est loin de tout, pas de service, pas d’essence, pas de marina. On a le temps de penser :
Suis-je un cheval de calèche avec un horaire, un travail, brossé, bien décoré, la nourriture et l’eau en abondance.  Les besoins essentiels sont comblés, mais il manque un peu d’imprévus, d’extraordinaire, de liberté.
Ou plutôt un cheval sauvage, qui peut aller où bon lui semble, n’a pas d’horaire, pas d’obligation sauf celle de subvenir à ses besoins. Mais il manque un peu de sécurité, de confort.
Je me sens comme un cheval sauvage qui revient en ville. Heureux de retrouver la nourriture en abondance, l’eau à volonté, les commodités. Par contre un peu irrité pas les centaines de voitures, l’horaire, la consommation trop facile, internet qui nous fait perdre du temps, les politiciens qui nous prennent pour des idiots. Les œillères qui nous empêchent de regarder ailleurs, le mord qui nous retient de foncer en avant, les guides qui nous dirigent là où on ne veut pas aller, le poids de la calèche à traîner.
Le rêve, la liberté, notre projet de vie, notre légende personnelle, bien des mots qui nous demandent du courage. Le courage de sauter dans le vide. Laisser tomber les guides, le mors, aller où on veut aller sans que personne ne nous dise le contraire. Marcher à sens inverse, ne pas suivre la masse, regarder ailleurs qu’entre les œillères. 
Nous ne cherchons pas tous la même chose. La liberté peut être en voilier, en VR, en camping ou dans un condo au centre-ville. Elle peut être dans les bons restos, dans les repas de famille, le café du matin ou un festin de langoustes fraichement pêchées. Elle peut être en couple, en famille, entre amis, au travail ou en solitaire.
Pour notre liberté, nous avons dû mettre de côté, un peu de confort, de sécurité. Mais bon, je suis prêt à manger une semaine de conserve pour un seul souper de langoustes dans les eaux bleues. Je suis prêt à marcher 2 milles pour trouver un liquor store, acheter une bouteille de vin buvable pour reprendre un verre avec ma blonde sur le pont du bateau à l’heure du green flash.
Mon ami Alain de Bel Evasion II m’avait fait remarquer un jour que la majorité des gens qui sont sur la plage regardent les voiliers avec admiration et envie en rêvassant sur de futurs projets. Après l’achat de mon premier voilier, il m’avait dit : peu importe la grosseur et l’année de ton bateau, tu fais maintenant partie de ceux que tu admirais, ceux qui ont réalisé leur rêve.
Les chevaux naissent dans la nature ou dans l’écurie, mais ils n’ont pas de contrôle sur leurs destins. Ce qui est merveilleux c’est que nous, nous avons le choix.

Eric

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