15 au 18 mai : L’intracostale encore et encore, avec ses longueurs, mais aussi sa magie.
15 mai : Swansboro-Oriental
Lundi, départ encore une fois à 6 h 30. Les journées se suivent et se ressemblent. Nos yeux disent au revoir à la charmante ville de Swansboro. Une autre navigation sous un chaud soleil. On ne s’en plaint pas, on se trouve plutôt choyés d’avoir toujours le soleil avec nous, ou presque!
On décide d’arrêter à Oriental, plutôt qu’à un quai de crevettiers 20 milles plus loin. L’une des deux toilettes ne fonctionne pas très bien et nous souhaitons faire un pump out (vider les eaux noires) pour vérifier d’où vient le problème. Nous avons lu que la ville d’Oriental offre un quai gratuit avec pump out, eau et même salle de bain.
À 14h, on est attaché au quai, les filles peuvent donc descendre sur la terre ferme à leur guise.
Malheureusement, le pump out tire à peine et bien que le capitaine passe près de 2 heures les mains dans la m… on ne réussit pas à vider notre satané réservoir! Disons qu’Eric a connu de meilleurs après-midi. D’autant plus qu’on suffoque dans le bateau. Nous ne sommes pas habitués d’être au quai. À l’ancre, il y a toujours du vent, mais pas au quai.
Il n’y a pas d’eau non plus et la marina juste à côté me dit que c’est uniquement pour leur client. Bon… merci.
Finalement, les filles remplissent nos petits gallons à partir du robinet de la salle de bain et font des allers-retours jusqu’au bateau. C’est un autre style d’entrainement!
On se couche en se disant que la journée de demain sera mieux!
16 mai : Oriental – Pungo River
Mardi, 6 h du matin, on se détache du quai sur une eau d’un calme absolu. Le bateau, tout comme le dodger, est rempli de crottes de canard! La veille, on s’amusait à les observer tout autour, plusieurs se juchaient dans les mâts, les crevettiers derrière nous en étaient remplis. Eh bien, c’est le prix à payer pour le spectacle reçu! Disons que la ville d’Oriental nous restera en mémoire pour son pump out plus ou moins opérationnel et ses canards!
Il y a peu de vents, on sort le génois, mais on ne peut fermer le moteur. On approche d’un quai de crevettiers, c’est ici qu’on avait d’abord planifié dormir la veille. Pour 40 sous le pied, ils permettent qu’on s’attache à leur quai. Eric n’a pas vraiment envie d’arrêter, mais on peut bien se permettre un petit arrêt de 30 minutes pour aller acheter des crevettes?!
Comme on y aurait bien dormi! L’endroit est paisible, hors du temps, loin de toutes civilisations. On jase un peu avec les gens sur place, achetons des crevettes et c’est déjà le temps de repartir!
On avance plus vite que prévu. Il semble y avoir un léger courant en notre faveur. À 15 h, on arrive à notre ancrage. On hésite à continuer, on rentrerait alors dans le mince canal qui relie Pungo River à Alligator River. Aucun ancrage n’est possible avant la sortie soit 20 milles plus loin. Pourquoi s’ambitionner?
On jette l’ancre. On en profite pour renouer avec nos bonnes habitudes de prendre l’apéro sur le pont. Les filles sont heureuses, ce moment est toujours apprécié de tous. La soirée est belle et calme. J’en profite pour couper les cheveux du capitaine qui commence à être vraiment pouilleux! Bon, bon, le résultat laisse un peu à désirer, mais des cheveux, ça repoussent!
17 mai : Pungo River – Buck Island (virginia Cut)
Le réveil se fait tôt puisqu’on a plus de 60 milles à faire aujourd’hui. Dès 6 h, l’ancre est levée.
Un autre matin magique.
Les oiseaux chantent tout autour de nous. Les arbres et les quenouilles miroitent dans l’eau. Les longs troncs des pins semblent espérer pouvoir atteindre le ciel. La forêt est dense, les plantes grimpantes. Quelques lueurs réussissent parfois à s’y faufiler. Ce matin, j’ai la chance de prendre mon café à travers une œuvre d’art vivante. Le tableau est parfait. Un mince brouillard se dissipe alors que le soleil gagne en hauteur.
Nous naviguons dans le canal qui relie Alligator River et Pungo River. Nous avions apprécié la paix qui s’y dégageait l’automne passé alors que nous avions la menace de l’ouragan Matthew qui devait passer quelques jours plus tard. Nous l’apprécions encore davantage ce matin à l’orée du jour.
On se répète souvent à quel point nous sommes chanceux de profiter de ces paysages. Oui, ce canal est long, 20 milles, donc environ 4 heures de navigation. Oui, peut-être qu’en 10 minutes nous en avons vu assez. Je crois toutefois que chaque minute nous offre un spectacle différent. 4 heures pour s’imprégner de paix. Nous savons bien que le commun des mortels n’a pas ce luxe du temps. Nous en profitons et le savourons.
Encore une fois, la navigation se passe mieux que prévu et à 16 h, nous sommes déjà ancrés. La chaleur nous monte à la tête, tout comme la solitude.
Durant ces longues journées, nous ne voyons personne, pas même un autre voilier. À l’occasion, un bateau moteur nous dépasse, mais c’est tout. C’est fou comme cela contraste avec les Bahamas où les Québécois étaient partout. Pas beaucoup quand même, mais il y en avait toujours 1 ou 2 qui apparaissaient sur une plage déserte. À croire que les Québécois préfèrent l’eau bleue et le sable blanc, à l’eau brune et les marécages… je ne comprends pas pourquoi!! Nos ancrages ne nous permettent pas non plus d’aller à terre, on est confiné sur notre bateau et c’est bien parfait! On danse sur du Phil Collins et on peut faire toutes les niaiseries qui nous passent par la tête. On ne peut déranger qui que ce soit… mis à part quelques grenouilles!
On s’offre une soirée ciné-parc, c’est-à-dire qu’on écoute un film sur l’ordi à l’extérieur. Le coucher du soleil est encore une fois à couper le souffle avec comme trame sonore : une chorale de grenouilles comme on n’en a jamais entendue. Quelle journée!
18 mai : Buck Island… jusqu’à nul part… Pont Brisé.
Un autre beau matin s’offre à nous. Il fait beau, le soleil se lève doucement. Pour une rare fois, on inverse les rôles. Je suis à la barre pendant qu’Eric prépare le café et le déjeuner. J’adore sentir l’odeur du café qui sort doucement du bateau. À la barre, on profite de chaque moment, de chaque paysage, paysage qui se modifie légèrement à chaque tournant.
Il n’y a rien tout autour de nous, le vide total… et pourtant un vide si bien rempli. Le ciel bleu, quelques filaments blanc autour, des arbres que je n’arrive pas à identifier : quelques-uns regroupés, d’autres plus solitaires, le vert des feuilles, les marécages à l’infini, une tache rouge au loin, qui se rapproche et devient un triangle, une autre verte qui devient un carré. Les oiseaux sont partout, ils ne cessent de chanter, sur chaque bouée, un nid immense s’y trouve, des bébés qu’on ne réussit pas à voir gazouillent à tue-tête.
Une affiche et un chiffre. 50. Il reste 50 milles à faire dans l’intracostale. Ce qui nous semblait une éternité s’achève déjà. Les larmes coulent encore (!) doucement sur mes joues. Le chemin parcouru en vaut tellement la peine. Il faut savoir bien observer le vide pour réaliser à quel point il est plein.
Je sors de mes rêveries. On a plusieurs ponts à passer et une écluse. La vitesse doit être régularisée pour ne pas attendre trop longtemps devant l’un d’entre eux. On se questionne si on arrête au quai gratuit avant l’écluse ou si on poursuit notre route jusqu’à Portsmount (en face de Norfolk). Il faudrait réussir à passer le dernier pont vers 15 h, car il est fermé à l’heure de pointe soit de 15 h 30 à 17 h 30. C’est toujours un peu un casse-tête tout ça. Notre vitesse est bonne, le vent nous aide un peu, on devrait réussir à avoir nos ponts au bon moment. Le premier est prévu pour midi.
11 h 45. À travers les jacassements de la gang de filles à bord, j’entends North landing…. Until tomorrow. Euh, ça, c’est le pont qu’on s’apprête à faire ouvrir?! Un voilier revient vers nous en nous disant que le pont ne peut ouvrir. On dit aux filles de se taire et cette fois-ci on entend bien. The bridge is broken. Vraiment, ici? Nous sommes à plus de 20 milles d’une marina ou d’un ancrage. On ne va pas faire 4 heures dans l’autre sens?!
Nous qui rêvons d’un long arrêt à Washington… et Washington est encore loin.
J’analyse la carte. Une petite embouchure de rivière offre 6 pieds de profondeur. On pourrait sortir juste un peu du chenal. De toute façon, il n’y aura pas de circulation si le pont n’ouvre pas. On met l’ancre, là, au milieu de rien. C’est moi ça qui pensais au vide pourtant si bien rempli quelques heures plus tôt... Je n’ai pas nécessairement dit que je voulais y rester.
On a envie de crier. Et on peut bien crier, après tout nous sommes seuls au monde. Ah, on essaie de tout planifier, pour être dans les temps, pour avoir du temps dans la magnifique ville de Washington, de pouvoir en profiter lorsque l’on peut aller à terre, découvrir de nouveaux endroits. Et voilà. On n’a pas le contrôle sur tout. Et bien, on n’a pas le contrôle sur grand-chose.
Ici, nous ne pouvons sortir en mer, à moins que l’on navigue pendant 3-4 jours en sens inverse. Les options sont pratiquement nulles et il n’y a aucun accès à terre. Étrangement, ma petite sœur m’avait fait parvenir un magnifique texte sur l’attente.
« L’attente est en proportion du bonheur qu’elle prépare ». On essaie d’être zen, mais c’est difficile. On tourne en rond, même si on a plein de choses à faire. Il fait chaud, excessivement chaud. On essaie tant bien que mal de profiter de ce temps d’arrêt.
2 grenouilles se sont invitées à bord. Les filles sont contentes d’avoir de nouvelles petites amies! On se satisfait de peu! On en profite pour avancer les cahiers en Univers social. Eric lave la cale du bateau, Daphné et Flo frottent le pont. On s’active comme un peu. On pratique nos katas. Et le temps passe.
On espère de tout cœur que le pont ouvrira demain. Une autre journée se termine. Comme elles nous filent entre les doigts.
Cynthia
Nos amis les canards à Oriental |
Flo en promenade à Oriental |
Au quai de crevettiers, les toilettes des filles sont spécialement belles! |
Oeuvre matinale |
Commentaires
Les Nemeens xxx