2 au 4 mai : Cumberland Island et la Géorgie
Ah la Géorgie… et le bruit du moteur durant ces longues journées. On espérait sortir en mer entre Cumberland et Charleston, mais les vents forts d’ouest nous ont chassés de cette ile et nous empêchent de nous aventurer sur l’océan. Et voilà qu’on avance et on avance. Heureusement, ce matin, le vent a tombé complètement, le ciel s’est montré tout orangé et on se réconcilie avec les lieux. La Géorgie… rien devant, rien derrière, des marécages tout autour. Et soudain, alors que le soleil se lève, les marais ressemblent à des champs de blé et Le petit prince apparait. Ce n’est pas le désert d’Afrique ici, mais c’est désert. Avec du temps pour penser et réfléchir. Aucune distraction.
Il m’a été difficile de quitter Cumberland. Les larmes ne pouvaient plus se contenir dans mon corps. Étrange encore une fois. Je ne peux identifier d’où viennent ces émotions intenses que je me mets à fabuler que peut-être dans une autre vie j’y ai habité…
Lorsque nous nous sommes mis à planifier ce voyage, nous avons suivi de nombreux blogues. L’équipage d’Oséo nous a fait découvrir ce lieu. New York, tout le monde connait, Disney aussi, les Bahamas, on en a déjà entendu parler, mais Cumberland Island, de quoi s’agit-il? Et pourtant, ce n’est pas à l’autre bout du monde. Non, simplement une ile en Géorgie qui longe l’océan Atlantique. Avec les quelques photos sur internet, je m’étais mise à rêver. Même si le rêve de partir un an en voilier avec chum et enfants me semblait parfois inaccessible, complexe et compliqué, ce lieu m’offrait un objectif réalisable. Avant la traversée du Gulf Stream, nous aurions droit à un endroit qui semble sortir d’un conte de fée… et bien de mon conte de fée.
À l’automne, nous avons découvert une ile déserte. À la suite du passage de l’ouragan Matthew, l’ile était interdite, en principe, aux visiteurs. En dinghy, nous avons quand même pu y aller et nous y avons découvert un véritable paradis… étrangement, c’était en même temps que ma grand-mère décédait.
Cette fois-ci, lorsque nous quittons Ste-Augustine, on se demande si nous avons pris la bonne décision. Nous aurions pu attendre sagement notre fenêtre météo pour sortir en mer bien attaché sur une boule de mooring. On avance avec le courant dans le nez à 3,5 nœuds. Il faut penser à un plan B, nous ne réussirons pas à faire les 60 milles qui nous séparent de Cumberland. À la barre à une véritable vitesse de tortue, mes yeux observent le rivage. Certaines côtes rocheuses me rappellent les mangroves à Shroud Cay… mais lorsque l’on a sillonné des mangroves sur de l’eau bleue, tout à pâle allure par la suite. Serons-nous déçus de Cumberland Island? Peut-être aurions-nous dû laisser ce souvenir intact dans notre mémoire? Parfois, il y a des attractions qui sont bien plus fortes que nous, bien plus forte que la raison.
Heureusement, le courant finit par être avec nous et notre vitesse augmente à 7-8 nœuds en fin de journée. À 18 h, on jette l’ancre et on s’assoit pour souper. L’eau est brune tout autour de nous, mais lorsque mon regard plonge dans le petit boisé illuminé par les rayons du soleil, je sais que nous devions revenir ici. Spontanément, je dis à Eric que je passerais une semaine dans cet ancrage. Le capitaine ne comprend pas trop mon engouement pour ce lieu.
Malgré tout, le capitaine a la gentillesse de mettre le dinghy à l’eau pour qu’on puisse aller fouler le sol de l’ile avant le coucher du soleil. Les filles sont motivées et font la vaisselle rapidement.
On accoste sur le quai à quelques mètres de notre voilier. (Sur le quai, il est indiqué que les visiteurs peuvent utiliser le quai uniquement du vendredi au dimanche, mais personne ne nous a dit quoi que ce soit.) On retrouve cette forêt enchantée avec bonheur. Cette fois-ci, il y a toutefois des gens sur l’ile, car on peut venir y faire du camping. Plusieurs sont assis dans les chaises berçantes en attendant patiemment le coucher du soleil.
La forêt maritime nous enveloppe. Ces plantes qui poussent sur les troncs des chênes et qui les décorent. Ces feuilles gigantesques qui recouvrent le sol. Tout le monde y va à son rythme, en courant, en se trainant les pieds. On connait le chemin. Le sentier mène à une longue passerelle qui laisse entrevoir au loin l’océan. Nous y sommes. Là où l’on doit être. Comme c’est beau. Si beau. Les filles courent sur la passerelle pour aller plonger leurs pieds dans le sable. Eric et moi préférons avancer tranquillement. Le bleu du ciel passe doucement au rose. Derrière nous, de l’autre côté de l’île, le soleil se prépare à se coucher.
La plage à marée basse laisse de nombreux bassins d’eau avec toute une vie qui s’y cache. On marche un peu les pieds dans le sable en espérant retrouver d’autres si beaux coquillages. Mais, non. À l’automne passé, nous avions trouvé de nombreux magnifiques coquillages, nous en avions conservé que quelques-uns en nous disant que nous en trouverions bien d’autres aux Bahamas. Mais maintenant, il n’y a plus de doutes, les plus beaux se cachent sur cette île. J’explique toutefois aux filles qu’une plage se transforme rapidement avec la direction des vents. Nous n’allons peut-être pas retrouver les mêmes coquillages qu’à l’automne. Elles ne doivent pas être déçues pour autant. On revient avant que la noirceur s’installe. Le soleil est déjà couché, mais le ciel est encore tout orangé. Perla fait partie du spectacle. On s’assoit sur le banc ou sur les chaises berçantes et on admire tout simplement le ciel.
On revient sur Perla comblé de bonheur de pouvoir être une autre fois à cet endroit.
Mercredi 3 mai, les filles ont droit à une journée de congé. On sait qu’on ne pourra pas profiter longtemps de l’île. Dès 10 h, nous partons avec bouteilles d’eau, pique-nique et serviettes. La chaleur est au rendez-vous! On peut faire ce dont on a envie… mais tout le monde décide de chercher des coquillages. Ça en devient une obsession! Il faut être très attentive, bien observer. Alixia est la championne dans ce domaine. Parfois, un tout petit bout sort du sable et voilà... ah, il est cassé… mais après une longue recherche, on en trouve un, puis un autre. Tout le monde en trouve aux moins un, c’est le plus beau cadeau que nous pouvons recevoir de l’île!
On mange sous le chaud soleil et ensuite, tout le monde à l’eau. Mis à part Alixia qui préfère travailler à une œuvre en solitaire. L’océan est étonnamment chaud. On saute, on plonge dans les vagues durant une heure, peut-être plus?! Charline, Daphné et Florane vont rejoindre Alixia et l’aident à terminer son chef-d’œuvre. On revient tranquillement les pieds dans l’eau vers le sentier qui mène à Perla.
Au bout de la passerelle, à l’entrée de la forêt se trouve une douche en plein air. On en profite donc pour se laver à tour de rôle et on se fait sécher au soleil. Quelle vie!!
On retraverse la forêt en l’admirant. J’essaie de prendre le plus de photos possible dans ma tête, je dis aux filles de faire la même chose. On ne sait pas quand on reverra un endroit d’une telle beauté. Les images doivent s’imprégner au plus profond de notre cœur.
Avant de partir, les filles prennent chacun un petit cahier Junior Ranger, elles l’avaient fait à l’automne, mais elles ont envie de le refaire! Dès notre arrivée au bateau, elles s’assoient toutes les 4 et travaillent de façon très assidue. Moi qui leur avais donné congé d’école… elles travaillent plus que jamais à comprendre les questions, trouver les réponses dans leur tête ou dans les dépliants de l’ile. Elles espéraient tellement avoir leur « badge », mais nous ne retournerons pas sur l’île…
Eric et moi préparons le souper tranquillement, en profitant de la tranquillité du lieu et en discutant de « que faisons-nous demain? ». Je voudrais tant rester plus longtemps. La météo ne nous permet pas de sortir en mer comme nous l’espérions… Mais, puisque les vents forts annoncés sont du sud, sud-ouest et même ouest, notre ancrage ne nous offre aucune protection. Nos filles aussi nous disent qu’elles aimeraient tellement passer au moins une autre journée sur l’île. C’est toujours déchirant de devoir prendre des décisions qui brisent le cœur d’une partie de la famille, mais c’est toujours Dame nature qui a le dernier mot.
On a une belle surprise, nos amis Luciole viennent s’ancrer tout près avec Éolia. On est heureux de partager un verre de vin avec eux. On espère avoir la chance de naviguer un peu avec eux pour les prochains jours.
Départ de Cumberland, les yeux plein d’eau!
Jeudi matin, 4 mai, on se lève sans qu’aucune décision finale n’ait été prise la veille. Je réveille Eric à 6 h 30, que faisons-nous?! On revérifie la météo. Mes yeux ne peuvent quitter l’île. J’ai peine à croire que nous allons déjà repartir. Mais, avons-nous le goût de passer une nuit blanche, les vents d’ouest atteindront peut-être plus de 30 nœuds… ah… Il faut écouter la raison. Après une heure de discussion, d’analyse, on lève l’ancre. Les larmes ne peuvent s’empêcher de rouler sur mes joues. Tristesse, déception… un mélange d’émotions… Je suis fâchée que la température ne nous donne pas une autre journée sur l’île… d’un autre côté, je suis reconnaissante d’avoir eu une autre journée avec un beau 30 degrés, à pouvoir jouer dans l’eau, marcher sur la plage. Il faut savoir apprécier le moment présent et accepter de tourner la page. Mais c’est parfois tellement difficile. Surtout, lorsque l’on sait que nos enfants ressentent la même chose.
Les filles se lèvent à tour de rôle. Maman, tu pleures?! C’est devenu presque normal qu’elles me voient pleurer. Elles savent, et bien je crois, je l’espère, qu’on peut être profondément heureux et pleurer malgré tout, vraiment souvent. Les deux émotions ne sont pas si éloignées.
Mon chum, qui tente toujours de faire cesser mes larmes trouve un petit ancrage, plus au nord de l’île, où nous serions protégés des vents d’ouest. Mais, en Géorgie, ce n’est pas parce qu’il est écrit 12 pieds sur la carte qu’il y a nécessairement 12 pieds d’eau en réalité. Eric entre dans la petite rivière en même temps que je lis les commentaires sur le lieu d’ancrage dans Active Captain. Toujours lire les commentaires avant d’entrer dans une petite rivière… On le sait. Et voilà comme je lis qu’il faut entrer à marée haute, on touche le fond. Les écrits concordent! Ah non… Heureusement, le courant fait tourner Perla et nous réussissons à nous déprendre. Ok, on sort de là! On se reprend… et on se déprend.
D’accord, j’ai compris. On doit laisser l’île de Cumberland derrière nous. Laisser — aller.
On s’éloigne doucement de l’ile qui est en beauté, peu importe par où nous naviguons. À l’extrême nord : les parois sablonneuses, le phare, la plage à l’infini. Mes yeux n’arrivent pas à la quitter. Je prends même les jumelles pour continuer à l’admirer le plus longtemps possible.
Et voilà. Elle est derrière nous. Les larmes continueront à couler doucement durant un moment.
Mon regard doit s’éclaircir, car à Jekyll Island, il y a très peu d’eau. Nous voyons souvent 6 pieds sur le profondimètre et même une fois 5 pieds. Ouf! On passe sans rien toucher.
La navigation se poursuit en surveillant les hauts fonds. Les vents forts du sud, sud-ouest nous permettent de sortir le génois. On avance bien et vite! En après-midi, le ciel s’obscurcit. La VHF nous lance des alertes météo. Orages violents à proximité. Les nuages noirs n’annoncent rien de bon… Mais en haut de notre tête, il fait toujours beau!
À 16 h 30, on s’ancre dans la petite crique du Wolf Island refuge. Luciole et Éolia viennent nous rejoindre. Une fois tout le monde bien ancré, les nuages peuvent enfin se vider de leur pluie!
On aurait aimé partager la soirée avec nos amis, mais tout le monde est épuisé de sa journée. Il faudra se reprendre!
Une longue longue journée de navigation |
Cumberland, nous voilà! |
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