Nous sommes une famille de 6 qui avons eu le bonheur de vivre sur notre voilier Perla VII durant près d'un an

9 octobre: L'ouragan Matthew, bien à l'abri à Grace harbor, River Dunes Marina

Samedi matin, une autre journée grise. Pluie et vents sont au programme. On en profite pour faire un matin d’école dans la très belle bâtisse principale de la marina. Les filles sont en évaluation, mais la concentration est difficile. Est-ce la pression atmosphérique qui ne cesse de chuter? Les filles ne réussissent pas aussi bien qu’à l’habitude leur situation complexe en mathématique et les émotions sont à fleur de peau. Je revérifie le tout avec elles, comme à l’habitude, pour expliquer les petites erreurs, mais ce matin, chaque commentaire est perçu comme une attaque… On se reprendra une autre fois!

On revient diner au bateau et on se propose un après-midi de jeu pour retrouver une énergie positive. La radio VHF nous lance un cri strident. Possibilité de tornade. Là, où l’on est. Cela ne veut pas nécessairement dire qu’il va y en avoir une, mais que la météo est propice à cela. La veille est en vigueur jusqu’à 16 h. On retourne donc à la bâtisse principale de la marina. Après-midi tranquille à jouer à différents jeux de société et même au billard. La veille de tornade est repoussée jusqu’à minuit. On consulte la météo sur nos tablettes. Les gros vents de Matthew arriveront cette nuit. Plusieurs personnes ont loué des petits cottages et nous invitent à aller avec eux. Mais, on est bien sur Perla… On réfléchit. La pluie a cessé et les vents sont plutôt faibles. On retourne souper sur le bateau et on vérifie que tous nos sacs sont prêts si nous décidons de partir pour la nuit. Florane s’endort profondément à 19 h. Nous n’avons pas envie de la réveiller pour aller on ne sait où…

Matthew passera ici sous forme de tempête tropicale et non comme un ouragan. Nous ne sommes donc pas obligés de quitter notre bateau. Les vents annoncés sont d’environ 60 nœuds, mais on nous dit qu’ici, ils devraient être moins élevés puisque nous sommes protégés de tous les côtés. On consulte la météo et re-consulte… On prend la décision de rester sur notre voilier. On joue aux cartes et à 22 h, on se couche. Eric dort sur la banquette, je vais dans notre lit avec Charline.

23 h 40. La pluie et le vent me réveillent. Je reste un instant dans mon lit pensant pouvoir me rendormir. Non. Mes sens dérapent, ma tête imagine le pire. Je me lève. Le vent tourbillonne. Rich, le dock master, nous informe via la radio VHF que nous n’avons plus de courant. Nous n’avons pas l’habitude d’être branchés sur un quai, ce n’est donc pas grave, mais ça nous donne un drôle de sentiment. Il n’y a plus aucune connexion internet, non plus. Nous sommes dans le noir total, avec le hurlement du vent et notre radio VHF. On ne peut pas voir ce qui se passe à l’extérieur avec cette pluie diluvienne.Est-ce que le niveau de l'eau à monté? À l’intérieur, je suis, encore une fois, bien heureuse d’avoir des Luci, ces petites lanternes solaires. Le vent tourbillonne d’une drôle de façon. Qu’est-ce qui se passe lors d’une tornade? Il n’y a pas d’alerte sur la VHF donc le risque de tornade doit être nul. J’aime mieux penser ainsi. Je questionne Eric s’il est préférable de réveiller les filles pour aller sur la terre ferme. Ce n’est pas le moment, en effet. Les 4 filles dorment incroyablement bien et les vents sont un peu trop forts pour que l’on se balade sur un quai avec des enfants dans les bras.

Les rafales sont de plus en plus fortes. Rich demande régulièrement si tout le monde est OK sur son bateau. Il y a peut-être une dizaine de bateaux habités durant la nuit. Luciole n’est pas très loin de nous. Au moins, nous ne sommes pas seuls. Eric réussit à dormir de courtes périodes. Moi, j’ai besoin de mettre des chiffres sur le bruit que j’entends. Mes yeux fixent l’anémomètre dès que le vent forcit davantage.En même temps, je surveille le niveau de l'eau qui demeure stable.

 Je suis fatiguée, mais je ne peux m’endormir. Que faire?! Écrire, lire? Mon esprit est trop préoccupé pour faire quoi que ce soit. Derrière moi se trouve une bible. Pourquoi pas. L’évangile selon Matthieu, c’est de circonstance! Je tombe sur la lecture préférée de ma grand-maman Cécile. Ma tante en avait parlé à ses funérailles. « Les oiseaux ne sèment ni moissonnent, mais il ne manque jamais de rien. » J’aurais souhaité la retrouver à travers les nombreuses pages, je n’aurais pas réussi. Et voilà qu’elle est là, à la première page que je regarde. Ma grand-maman veille assurément sur nous. Le temps passe lentement. La lecture m’apaise.

Le vent hurle comme des centaines de fantômes. Le vent tourne et arrive maintenant de l’ouest et pousse sur le bâbord de Perla. On gite alors qu’il n’y a pas de vagues et que nous sommes solidement attachés au quai. On surveille la pression atmosphérique. Nous avons appris que lorsqu’elle remonte, le pire est derrière nous. J’ai hâte de voir l’aiguille se déplacer un peu. Je consulte le cahier de notre cours de météorologie, la section sur les ouragans. J’en arrive à un article inséré dans notre cahier : Dans l’enfer de Hugo, la nuit où les bateaux volaient. Quelle lecture rassurante! D’accord, un bateau peut s’envoler, mais il s’agissait de vent de 150 nœuds avec des rafales de 185 nœuds. Ici, les rafales les plus fortes grimpent à 50 nœuds. Rien de comparable. Perla devrait rester bien sagement sur l’eau, à son quai.

Chaque rafale est un peu comme une contraction, on ne sait jamais jusqu’où ça va aller, mais c’est habituellement de courte durée. Ma grande sœur Julie, dont c’est sa fête aujourd’hui, nous disait toujours pour nous rassurer avant un accouchement que lorsque la douleur devient intolérable, la contraction est déjà terminée… ce qui a toujours été vrai. J’essaie de me dire la même chose avec le vent…. Parfois, les accouchements sont plus ou moins longs… les tempêtes, aussi… Mais, il y a toujours une fin, un moment où le calme revient.

Même si nous sommes seuls sur notre voilier, on sait que plusieurs personnes sont au bout de leur radio VHF. Nous vivons tous la même chose, avec les mêmes craintes. Les pires vents sont annoncés pour 5 heures du matin... Nous attendons tous le lever du jour avec impatience, on entend les voix de plus en plus fatiguées.

Florane se réveille avec un grand sourire : bonjour papa, bonjour maman, est-ce que c’est le matin? Pourquoi vous êtes là? Elle retourne se coucher avec le même sourire, sans aucune inquiétude.
À 4 h du matin, un génois se déroule. Le claquement de la voile s’ajoute au hurlement du vent. Va-t-elle déchirer ou le voilier va s’emballer? Rich se rend sur le quai et réussit à l’attacher à nouveau. Tout est sous contrôle. Le vent tourne à nouveau et arrive maintenant sur notre arrière. On espère que notre panneau solaire va tenir le coup. Après une courte accalmie, le vent est de plus en plus soutenu. Chaque fois que le sommeil s’apprête à venir me chercher, une rafale me ramène à la réalité; 47, 48, 49 nœuds s’affichent sur notre écran.

Je consulte une dernière fois ma montre à 5 h 45. Je m’endors sûrement quelques minutes plus tard. Eric et moi dormons sur les banquettes en petite boule. Réveil à 7 h avec les jambes endolories. Je regagne mon lit pour une autre heure. 8 h, Rich refait un appel à tous sur la radio VHF. Tout va bien, aucun bris à la marina, ni sur les bateaux. On s’en sort plutôt bien et maintenant que la clarté est là tout est beaucoup moins effrayant. Nous continuons à avoir des vents soutenus à 25 nœuds avec des rafales à 30-35, mais ce n’est rien à comparer la nuit passée. On pourra se reposer… ce soir, car nos filles ont de l’énergie à revendre! Elles n’ont pas eu de nuit blanche, elles!


Cynthia
PS:C'est l'action de grâce... il ne faut donc pas oublier de rendre grâce, surtout lorsque l'on se trouve à Grace harbor, lieu totalement épargné par l'ouragan Matthew...
Nous avons une bien belle salle de classe ce matin!

Charline travaille fort

Le très beau restaurant de la marina, nous pourrions dormir ici?!

Sans ses voiles, ni canevas, bien amarré, Perla est prêt pour la nuit.

On consulte à maintes reprises notre météo,
 nous n'aimons pas vraiment les couleurs que l'on y voit...

Commentaires

Unknown a dit…
J'adore te lire Cynthia ! Votre vie est très différente de la mienne. ��Bon voyage!

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