Nous sommes une famille de 6 qui avons eu le bonheur de vivre sur notre voilier Perla VII durant près d'un an

24 février: Vent d'ouest sur Cat Island


Le bateau est sens dessus dessous. Le cadre croche, une coupe de vin brisée dans le lavabo, des gilets de sauvetage et des serviettes sur les banquettes, des miettes de pain aussi sur le tapis, car je crois que le pain frais fait d’hier soir est tombé par terre. Perla ballotte de gauche à droite. On est ancré un peu trop près de l’entrée de notre petit trou… C’est qu’à la noirceur, après avoir sorti et finalement revenu dans notre ancrage, on a jeté l’ancre où l’on était certain qu’il y avait de l’eau. C’est toujours mieux lorsque l’on est en bateau!

Alors, la morale de l’histoire, les ancrages près d’un quai pour le mail boat : à éviter.

Nous espérions que le mail boat, le fameux bateau qui approvisionne les iles, qu’on attend normalement avec impatience pour avoir des fruits et des légumes, ne vienne pas étant donné les gros vents. Nous n’avions bien sûr rien tenu pour acquis et c’est pourquoi nous avions validé avec plusieurs personnes qui travaillent ici que notre bateau ne nuisait pas à l’arrivée et au départ de ce gros bateau, peu manœuvrable. « Non, non pas de problème, il arrive en ligne droite et ressort de la même façon. »

Le fameux bateau s’est pointé jeudi, malgré les forts vents, vers 10 h. On avait bien hâte qu’il reparte pour pouvoir se déplacer un peu plus au centre du bassin en prévision des vents davantage ouest que sud-ouest. Mais le bateau ne repart pas… et les vents tournent même au nord-ouest. On surveille le profondimètre et la fameuse bouée blanche derrière nous qui indique qu’à cet endroit… il n’y a plus d’eau. Ce que l’on craignait arrive, on touche doucement au banc de sable. Vite, on ne peut plus attendre que le mail boat reparte, on a deux ancres à lever avec des vents de plus de 20 nœuds et surtout, pas d’eau autour de nous. 

Normalement, lorsque l’on lève l’ancre, je suis à la barre et Eric à l’avant. Mais cette fois-ci, ça ne fonctionne pas. Le fait qu’il y ait un quai en béton, des bancs de sable un peu partout, un très grand navire… cela augmente mon stress légèrement… On inverse les rôles et on doit crier fort pour coordonner « les opérations » On réussit à se sortir de cette mauvaise posture, à avoir assez d’eau sous le bateau pour bien manœuvrer. Eric retourne à l’avant, moi à la barre. On se repositionne et on remet l’ancre. Voilà, une bonne chose de faite! Je dis à Eric à la blague : « Et là, ils vont nous appeler pour nous dire que finalement, ils doivent reculer et qu’il faut encore changer de place! » 

On fait du pain, des macarons au chocolat, du ménage et on vide la douche pour pouvoir prendre une douche chaude à l’intérieur. (C’est que la douche sert surtout à ranger les wetsuits, linges et serviettes salées. À 6 sur un bateau, il y en a des choses de salées.) 

« Perla, Perla, this is New G, do you copy? »
New G, c’est le mail boat. C’est l’appel que nous ne voulions pas recevoir. 
Étant donné les vents, il devra se retourner. Nous sommes donc un peu dans son chemin. Il nous invite à venir au quai, nous pourrons y rester sans problème pour la nuit. Il nous informe qu’il devrait quitter vers 17 h-17 h30. Le quai en béton ne nous intéresse pas du tout, avec ce vent… Alors, soit que l’on sort de notre cachette, le temps que le navire se retourne, soit que l’on manœuvre en même temps que lui dans ce tout petit trou d’eau, soit que l’on va patienter au quai. Le capitaine choisit l’option du quai. On prépare les défenses et les amarres. Eric, comme à son habitude, manœuvre Perla comme s’ils ne faisaient qu’un et on approche doucement du quai. J’attache bien les amarres, mais la vague arrive de loin et fouette Perla de travers. On ne peut pas rester là. Nos défenses font le travail pour l’instant, mais elles ne résisteront pas longtemps. En plus, la marée haute nous aide à ne pas cogner sur le béton, mais elle redescend déjà. Avec ma gaffe, j’absorbe un peu chaque vague pour soulager les défenses, mais à peine. 

Les filles aimeraient débarquer, mais Eric et moi sommes d’accord que passer du bateau au quai est un peu trop risqué. Mais à l’intérieur, c’est le capharnaüm chaque fois qu’une grosse vague arrive. 
Comment allons-nous pouvoir repartir de ce quai? Eric analyse les vagues et remarque qu’après la plus grosse, souvent la 7e, Perla décolle du quai, comme pour repartir avec la vague. Il faudrait donc partir à ce moment. L’idée est bonne, mais le patern n’est pas toujours le même. Parfois, il y en a deux grosses qui se suivent et la seconde nous frappe encore plus sur le quai. Après une autre analyse, Eric croit que lorsque le navire va reculer, il va bloquer les vagues de l’entrée, nous offrant donc une courte accalmie. Bon, j’achète cette idée, mais je ne pourrais pas être sur le quai. Ok, on va donc détacher les amarres de Perla et non du quai. On reviendra par la suite, en dinghy sur le quai pour les rechercher. Le plan doit fonctionner. Mais le mail boat ne part pas. Il attend toujours un camion… Au plus tard, il partira à 18 h. Il est déjà 17 h 30 et nous sommes là depuis 16 h… Mes bras sont plus que fatigués. Le soleil se couche. Magnifique coucher de soleil, nous aimerions tellement être n’importe où ailleurs qu’ici. Eric n’en peut plus de voir son bateau ainsi, il propose qu’on sorte finalement pour patienter en mer. 

On recommence la même discussion. Au point où nous en sommes rendus, je crois qu’il est préférable d’attendre ici. La noirceur arrive et on peut imaginer à quoi ressemble la mer. On pousse tous les deux avec nos gaffes pour nous assurer que les chandelles de Perla ne frappent pas le béton. Nos défenses dégonflent à tour de rôle. Et moi je crie. Je ne crie jamais dans la vie, à part au karaté… Je pense à Denis, notre prof et j’ai bien besoin d’aller chercher un peu plus d’énergie. À chaque vague un peu trop grosse, j’ai besoin d’un bon kiai pour ne pas devenir folle… ou je suis déjà folle?! 19 h, nous sommes toujours là. Je crie encore plus fort. 
19 h 30, New G part enfin. Vite, on détache nos secondes amarres, puisqu’elles étaient bien sûr doublées, on inverse les autres pour pouvoir détacher rapidement Perla. Ça y est, on est détaché. Tout le monde crie, je crois, Eric, Alixia, Charline et moi. On a beau pousser de toutes nos forces, le vent nous colle sur le quai. J’essaie, avec tout mon poids, mon gros 100 livres, de pousser le devant du bateau, pendant qu’Eric recule et avance et recule.  Alixia pousse la bedaine de Perla.

Après des minutes interminables, on réussit à se décoller du quai. Mais, ce n’est pas fini, il faut s’ancrer, à la noirceur la plus totale. Nous qui faisons toujours tout en silence, en nous faisant des gestes, cette fois-ci on n’a pas le choix de crier. 

L’ancre est mise, et nous sommes épuisés. C’est un cas de ragout de boulettes Cordon bleu pour nourrir toute la petite famille. Eric va chercher les amarres restées au quai, pendant que nous sortons les conserves de sous le lit de Florane et Daphné. Sous le lit, qu’est-ce qu’il y a? De l’eau! Une grosse bouteille d’eau s’est perforée et s’est complètement vidée. Un autre dégât à ramasser. On finit par s’assoir pour souper. 

On délire. Les filles n’ont pas le droit de répéter les mots que je dis, mais moi, j’ai besoin d’évacuer! Et même si ce n’est pas ce que l’on pense vraiment, la chanson de Lisa Leblanc me vient en tête : La vie c’est d’la marde!! Normalement, dans une vie terrestre, on couche les enfants et ensuite, on chiale sur nos journées, sur ce qui va moins bien, on sort tout ce qu’il y a de négatif en nous. Sur un bateau, tout se passe en famille. Et c’est peut-être correct aussi, même si on se dit que les filles sont en contact avec beaucoup de choses avec lesquelles elles ne le seraient pas normalement.

Elles comprennent, et bien j’espère, que oui, en effet, on aurait pu rester dans le confort de notre maison, mais lorsqu’on décide de vivre une expérience différente, ça va avec les hauts et les bas… les hauts, sont beaucoup plus hauts, à mon humble avis, mais les bas, le sont également. On termine la journée en riant de cette journée de M… 

On s’endort quand même tard après la nuit blanche de la veille. 

4 h 45, je me réveille comme à l’habitude. Un bruit me fait sortir la tête à l’extérieur. Mais... c’est qu’il y a un traversier derrière nous, et pas un petit. « Eric, réveille-toi! »

Égal à lui-même, Éric jette un œil et retourne se coucher. Le navire a l’air de manœuvrer sans problème. 

« Euh, Eric… il se retourne, il est beaucoup trop proche, on doit démarrer le moteur. »
Bon, le capitaine est bien réveillé cette fois-ci et, en effet, il est près. Ce n’est pas que moi qui panique toujours pour rien. Le moteur parti, on retire un peu de chaines pour s’éloigner un peu. Charline se lève :
Mais qu’est-ce qu’il y a derrière nous?

Oui, oui, un bateau et il est vraiment près.

On tente de communiquer avec le traversier sur la VHF, mais personne ne répond. Pour ajouter au surréaliste, le traversier met la musique à tue-tête. Une vraie discothèque mobile à 5 h du matin! Comme tout va si bien, avec la chaîne que nous avons retirée et les vents toujours à plus de 20 nœuds et les vagues, notre ancre se met à chasser. Le capitaine du traversier ne nous répond toujours pas. Sera-t-il là pour une heure ou plus?

On lève l’ancre, on fait un autre 360 degrés et Eric me dit : « On va aller s’ancrer à l’extérieur et revenir lorsqu’il sera parti. Au moins, on n'entendra plus sa musique. » Euh, la musique?! Qu’est-ce que ce commentaire? 

 La noirceur est totale. À l’extérieur, les vagues et le vent arrivent de très très loin. Aucune côte ne nous protège. Mais ce n’est pas vraiment le temps de discuter. 

J’éclaire le petit chenal, alors que les vagues nous freinent. Je prie pour qu’elles ne nous poussent pas dans les hauts fonds. Une fois que nous sommes sortis, les vagues sont encore plus immenses que ce que nous croyions. Pouvons-nous avancer tranquillement sur notre dernier tracé sur le GPS, le temps que le soleil se lève? On tente cette option, mais les vagues sont si grosses, on dévie sans cesse. Et on le sait bien, on ne navigue pas à la noirceur aux Bahamas. Eric décide de jeter l’ancre. C’est l’enfer dans le bateau, mais au moins on sera certain de ne pas toucher à un récif de corail. Eric a son gilet et s’attache à la ligne de vie pour aller à l’avant du bateau. C’est difficile de tenir la barre dans ses vagues. Je pense à notre safran neuf et à Eric Mercier qui l’a refait avant notre départ. 

Une fois ancrée, les vagues nous ramassent dans tous les sens. On ne les voit pas venir, mais elles semblent arriver de partout. Et on voit le fameux traversier qui ressort déjà. 
« on ne peut pas rester ancré, on retourne à la même place » qu’Eric me crie.

Sérieux, on va retourner dans ce petit chenal avec ses grosses vagues, à la noirceur?! On n’a pas vraiment d’autres options. Eric relève l’ancre. J’éclaire comme je peux les deux parois rocheuses. On surfe sur les vagues et j’espère qu’il y a un bon Dieu qui veille sur nous. La lune est là, avec un mince sourire. Et voilà. Nous traversons l’étroit passage.

Nous revoilà encore une fois en train de nous ancrer ici. On commence à le connaitre ce trou, mais on ne l’apprécie pas pour autant. 5 h 45, tout le monde retourne dans son lit.

Évidemment, le sommeil ne me regagne pas. 

Le lever du soleil est splendide.

Les vents vont finir par diminuer.

La vie va reprendre son cours.

Cynthia


Notre voisin arrière, il est un peu plus gros que nous.

Le ciel n'annonce rien de bon.

18h, le soleil disparaît et lui, ce gros navire, est toujours là...

Magnifique lever du ciel pour retrouver calme et paix.


Commentaires

rose-ange a dit…
je vous souhaite une très longue accalmie a Eleuthera xxxx

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