Nous sommes une famille de 6 qui avons eu le bonheur de vivre sur notre voilier Perla VII durant près d'un an

Nuit du 30 novembre au 1er décembre: La traversée du Gulf Stream


Chaque jour, nous consultons à maintes reprises la météo. Une fenêtre pour traverser vers les Bahamas se confirme pour le jeudi 1er décembre.

Pour nous rendre jusqu’aux Bahamas, nous devons traverser le Gulf Stream, un courant qui coule vers le nord pouvant atteindre jusqu’à 5 nœuds, mais qui de façon générale a une vitesse de 2-3 nœuds. Lorsque les vents sont contraires au courant, la mer peut devenir dangereuse. Idéalement, le vent doit être léger du sud, sud-ouest, le temps doit être calme 6heures avant le départ et le demeurer 12 heures après le temps prévu de la traversée. Il faut également se méfier des vents du nord qui peuvent toujours arriver quelques heures d’avance. Bien des contraintes difficiles à aligner.

Notre plan initial était de traverser de Miami à Bimini qui selon plusieurs consiste en la traversée la plus facile et la plus courte. Depuis le début du voyage, nous avons discuté avec plusieurs navigateurs qui empruntent plusieurs autres voies. Chacun possède sa préférée, elles ont leurs avantages et leurs inconvénients. Nous en avons analysé plusieurs, d’autant plus que la météo ne nous permet pas de nous rendre à Miami. De Fort Lauderdale il est bien plus facile de se rendre vers Freeport en se laissant porter par le courant… mais parfois, la navigation qui suit vers les Berry Island peut s’avérer plus corsée. Fort Lauderdale à Bimini est possible, mais pas l’idéale étant donné notre angle pour s’y rendre… on devra aller un peu contre le courant.

Après réflexion et analyse, discutions avec d’autres navigateurs, nous traverserons de Fort Lauderdale vers Bimini dans la nuit de mercredi à jeudi avec un autre voilier Le Caboteur.

La journée de mercredi est donc consacrée aux derniers préparatifs, Eric s’occupe du bateau pendant que je prépare fruits, légumes, pâtes pour la traversée. Le vent souffle toujours très fort… On ne pourra pas respecter l’une des contraintes : Le calme 6 heures avant le départ.
Nous dormons de 20 h à 22 h 30. L’alarme sonne. Mon lit n’a jamais été aussi confortable. Je voudrais bien y rester! Allez hop, debout! Heureusement, il fait clair à Fort Lauderdale, c’est plutôt réconfortant. À 23 h, Eric lève l’ancre et nous appelons pour faire ouvrir le pont avant l’inlet. On apprécie ce moment dans la nuit, seuls Eric et moi. Le vent n’a toujours pas diminué, on sait que la mer en sera gonflée.

Nous sommes tous deux conscients qu’il y a plusieurs contraintes à respecter, qui ne le sont pas. Mais nous savons également qu’il n’y a aucun danger, sinon, nous ne sortirions pas en mer avec 4 enfants à bord. J’avais parlé de mes craintes avec Eric. Il me connait. J’avais peur d’avoir peur dans cette nuit noire. J’avais peur que mon esprit dérape. 

Même si le vent souffle, que l’inlet est agité, la nuit est paisible, l’obscurité nous enveloppe en fur et à mesure que nous nous éloignons de la côte. Nos 4 filles dorment paisiblement dans leur chambre, ce qui nous permet de nous concentrer uniquement sur la navigation. Le facteur stress en est fortement diminué. C’est la première fois que nous avons la chance de naviguer en mer juste les deux dans le cockpit.

Le plan est de prendre un cap pour traverser le Gulf Stream en ligne droite à voile et remonter vers Bimini, une fois sortie du courant. Mais le plan ne fonctionne pas très bien. Nos voiles ne demandent qu’à être hissées, mais nous sommes face au vent. Si nous prenons un cap pour être au près (l’allure la plus près du vent) soit nous serons déportés beaucoup trop vers le nord, soit nous allons affronter directement le courant du Gulf Stream. On se résigne à être à moteur uniquement, en espérant monter les voiles un peu plus tard. Le courant est très fort, probablement à 3 nœuds, et fait dévier de notre route. On corrige notre cap. On tente d’avoir le meilleur angle possible, sans pour autant être trop ralenti par le courant.

À ma grande surprise, la nuit n’a rien d’effrayant. Au contraire. Les vagues sont grosses, mais Perla les affronte sans problème. La noirceur ne nous permet pas de les voir venir, je ne peux donc pas les anticiper. Parfois, nous voyons l’écume des déferlantes au loin, mais de façon générale, nous les apercevons uniquement lorsqu’elles frappent le bateau. Bien qu’on annonçait de la pluie, les étoiles demeurent en haut de notre tête. La nuit est belle et réconfortante. Le vent souffle toujours fort. Les vagues se brisent sur Perla, on reçoit de l’eau salée en plein visage. Comment réussir à dormir? Les yeux fermés, mon corps résiste à se laisser aller. Je prends la barre. Eric n’a aucun problème à dormir.

Charline se lève pour aller à la salle de bain. Je crains qu’elle soit malade. C’est impossible de rester à l’intérieur, ça brasse de partout. Les portes des armoires s’ouvrent toutes seules avec l’impact des vagues. Charline retourne se coucher. Les gravols font leur effet, je suis impressionnée! Je ne réussis pas à refermer la porte où se trouve le rouleau de papier de toilette… mais ce n’est pas le temps de s’éterniser ici. La sensation qui m’envahit est étrange. Comme lors de notre dernière sortie en mer, on dirait que mon corps veut me lâcher, perdre connaissance tout simplement. Je m’étends quelques minutes pour revenir à moi-même. Je suis tellement fatiguée et je voudrais tant dormir. Rien à faire. 

Daphné se lève à son tour pour aller à la salle de bain. La salle de bain avant est plutôt une zone sinistrée! Une vis de l’écoutille s’est brisée, probablement sous l’impact d’une vague et de l’eau s’y infiltre doucement… pas beaucoup, mais suffisamment pour que le plancher en soit recouvert, mélangé avec plein de petits morceaux de papier de toilette… car le rouleau s’est déroulé puisque nous n’avions pas refermé la porte. Je fais partir l’eau, mais les papiers mouillés attendront plus tard. Par chance, nous avons une autre salle de bain. Je m’empresse de retourner à l’extérieur, incapable de rester une seconde de plus, ni même prendre les fruits coupés et l’eau dans le frigo.

Le Gulf Stream transporte une masse d’air chaude et nous laisse la gorge bien sèche. Eric réussit enfin à aller chercher une bouteille d’eau. Ce qui peut être si simple devient un défi énorme dans ces conditions.

Vers 5 h, l’obscurité laisse doucement place à l’aurore. Je reprends la barre pendant qu’Eric dort. J’espère que les filles ne se réveilleront pas bientôt. Il nous serait impossible de s’occuper d’elles. 6 h 45, je suis seule alors que le soleil se taille difficilement une place à travers les nuages, mais il est bien là, déjà! Que de l’eau tout autour de nous et au loin, une énorme sphère lumineuse. Les poissons volants viennent me distraire, mais ils sont trop peu nombreux à mon goût. Le temps est long. Je sais que nous sommes encore loin de notre destination. Perla avance à 2-3 nœuds… à cette vitesse nous n’arriverons jamais. Si nous pouvions au moins monter les voiles, on cesserait de se faire balloter dans tous les sens, mais le vent tourne en même temps que nous changeons de cap. Les minutes sont longues.

Heureusement, avec le lever du jour, les conditions se calment un peu, mais je ne me sens pas mieux pour autant. Couchée, les yeux fermés, j’essaie de récupérer, sans jamais réussir à dormir. Vers 9 h, Daphné et Florane se lèvent et évidemment, elles ne se sentent pas très bien. Je ne peux pas les aider à s’habiller et à mettre leur harnais pour venir nous rejoindre dehors… Je me sens une mère indigne, mais je leur dis : Prenez deux gravols, que j’avais pris soin de laisser sur la table, et couchez-vous sur les banquettes.

Notre vitesse remonte et aide au moral. Au loin, il y a une terre en vue!! Vers 11 h, il nous reste environ 15 milles nautiques et nous allons à 5 nœuds, parfois 6. Nous parlons régulièrement avec Le Caboteur pour savoir où nous nous trouvons l’un de l’autre, car nous sommes trop loin pour nous voir. Vers midi, Renald de Luciole nous appelle pour nous dire qu’il nous attend à Bimini. Je suis bien heureuse de savoir que des gens sur la terre ferme nous entendent. Un autre navire nous appelle La smala pour nous dire qu’eux aussi ont des enfants et qu’on devrait se retrouver quelque part aux Bahamas. Ces appels nous montrent que même si nous ne voyons aucun navire sur l’eau, nous ne sommes pas seuls.

Vers 13 h 30, nous faisons notre approche de Bimini. La couleur de l’eau est impressionnante. Le mer est d’un bleu opaque et laisse tranquillement la place aux différentes teintes de bleu et de turquoise. Nous entrons avec de bonnes vagues dans le chenal bien balisé de Bimini. Ensuite, les vagues cessent. À 14 h, nous sommes ancrés. Enfin!

Seul le capitaine peut se rendre à terre pour régler les formalités d’entrée. Pendant ce temps, on ramasse dans le bateau qui est tout en bordel… et je nettoie la salle de bain qui est pleine d’eau salée et de morceaux de papier de toilette mouillée. Yark!

Eric revient une heure plus tard. Nous sommes épuisés, mais bien heureux d’être rendus aux Bahamas. On se reparlera plus tard de notre traversée. Pour l’instant, le peu d’énergie qu’il nous reste nous permet d’aller à la piscine du Resort situé à côté de notre ancrage. Après une baignade, on relaxe dans le spa et on se demande comment nous allons faire pour revenir sur Perla. Ce soir-là, les parents s’endorment avant les enfants.


Cynthia

Terre en vue! Enfin! (observez bien au loin l'île minuscule.)

On approche de Bimini.


Commentaires

Unknown a dit…
Bravo! Une bonne nuit de sommeil vous fera du bien! Bonne chance pour le futur!
Adrien a dit…
Bonjour
Nous sommes les amis de Yves et Louise sur Free at last
Loulou vous a mis dans sa liste de bateaux amis. Quelle idée géniale puisque nous pouvons lire votre blog avec ravissement
Extraordinaire récit de votre traversée c'est comme si on était à bord avec vous.
C'est un privilège de vous lire et de vous imaginer.
Grands mercis.
Sivous acceptez de nous relire on vous écrira à nouveau de notre côté on va continuer à vous lire avec le plus grand intérêt et à vous trouver extraordinaires avec vos 4 filles quel courage on vous admire.
Sommes Adrien et Marguerite du West island à Montréal

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