Nous sommes une famille de 6 qui avons eu le bonheur de vivre sur notre voilier Perla VII durant près d'un an

8 décembre : Mahi-Mahi et… remorquage entre les Berry Island et Providence Island


Le 8 décembre, le départ est prévu vers 5 h 30 pour avoir l’option de nous rendre directement à l’ancrage à l’ouest de Providence Islande. Nous surveillons un front froid qui devrait arriver vendredi soir. Notre premier choix est d’arrêter dans les Berry Island, mais il y a peu d’endroits qui offrent une bonne protection des vents de 30-35 nœuds.

On lève l’ancre dans la noirceur absolue. Nous sommes dans un épais brouillard, comme si nous étions toujours dans nos rêves. On suit notre cap et notre GPS. On navigue en ligne droite, avec aucun danger environnant. Il faut simplement s’assurer qu’il n’y a pas d’autres bateaux à l’ancre ou d’autres navires qui viennent face à nous. 

Une heure plus tard, le soleil se lève, les filles se réveillent l’une après l’autre.
À l’approche de Chub Cay, nous captons internet et revérifions la météo. Les vents forts arriveront vers 10 h-midi vendredi, nous décidons donc de ne pas trainer aux Berry Island. Nous devrions arriver vers 17 h à notre ancrage du côté de Providence Island. La journée est magnifique, il fait beau avec un vent de 10 nœuds, l’idéal pour faire de la voile sur cette eau calme, mais le vent vient exactement de la direction où nous allons. Le temps ne nous permet pas de changer notre cap pour faire de la voile. Nous ne souhaitons pas arriver à la noirceur.

La journée se passe doucement, la ligne est à l’eau, mais aucun poisson ne se manifeste. Nous sommes maintenant dans 3000 pieds d’eau, nous attendons notre mahi-mahi. Vers 14 h, le bruit du fil qui se déroule vient nous sortir de nos rêveries. Ça y est, cette fois-ci, on l’espère, ça sera un poisson pour le souper. En peu de temps, Eric rapproche sa prise. Wow, quel beau poisson! C’est bien un mahi-mahi qui brille dans l’eau! Toute la famille travaille en équipe et rapidement, un gigantesque poisson se retrouve couché dans le cockpit. Avec un peu de rhum, le poisson se calme. On sort notre planche, le rapala pour arranger cette merveille de la nature et… le moteur arrête. Ah non… Le mahi-mahi n’a plus toute l’attention. Eric descend voir le moteur. Pourtant, il venait de vérifier la température, tout était beau… 
Dans ces moments, je sais maintenant que je ne peux pas adresser la parole au capitaine. Auparavant, je lui aurais posé mille et une questions pour évacuer mes angoisses et il aurait été, disons exaspéré… Nous sommes rendus vraiment bons, ou plutôt je me maitrise vraiment très bien et je reste silencieuse. Toutefois, il y a un poisson qui me regarde avec son grand œil… en me disant que s’il n’est pas défait en filet rapidement, il ne sera peut-être plus très bon à manger. Le soleil le réchauffe rapidement. Alixia se demande durant combien de temps le rhum fait son effet. On ne peut pas laisser un poisson mourir au soleil sans profiter de sa chair. Luciole est près de nous, Renald me propose d’arranger notre poisson… oui mais comment faire pour le transférer de bateau? Il mesure 40 pouces et n’entre même pas dans un sac de poubelles extra large. Je le prends comme un bébé, sa tête dépasse du sac, il semble se demander ce qu’il se passe. Luce me tend sa puise et j’y glisse le poisson. Et voilà, sauvetage de poisson réussi!

Le temps passe et passe. Eric travaille sur le moteur, je lève les voiles en me disant que même si nous n’avons pas le bon cap, nous allons avancer. Mais le vent tombe totalement. 3 nœuds de vent, 2 et puis 0. 0 nœuds de vent! Pas un mince filet d’air n’entre dans les voiles.
On réessaie le moteur. Toujours rien. J’ai confiance. Eric trouve toujours la solution. Autour de nous, au loin, le ciel s’obscurcit. Est-ce un grain qui se dessine? Heureusement, il n’y a pas de danger près de nous. Nous sommes à 10 milles des Berry Island et 25 milles de Nassau. On affrontera la météo en temps et lieu. Après 1 h de travail constant sur le moteur, le capitaine en sueur s’assoit à l’extérieur, les yeux fermés. Ce n’est pas nécessairement bon signe… mais il aura surement l’illumination!

Puisque je n’y connais rien au moteur, je ne peux chercher de solution de ce côté, mais je peux essayer de trouver de l’aide. Qui pourrait bien nous aider en plein milieu de nulle part? L’ancien propriétaire de Perla a un bateau à Nassau. Peut-être est-il ancré pas si loin? Je me souviens qu’Eric m’avait lu un message de lui et sa conjointe Annette, il y a de cela quelques semaines. Avons-nous encore ce courriel? Après une courte recherche sur le cellulaire, je retrace ce mot où ils nous redonnent leur adresse courriel et en plus leur numéro de téléphone. Mais avons-nous des ondes téléphoniques? Eh oui, elles viennent d’apparaitre. Je compose et euréka, on me répond! Mais non, ils ne sont pas sur l’eau, ils sont encore aux États-Unis. Annette me dit que François nous rappellera dans 5 minutes… Aurons-nous encore des ondes à ce moment?

On se résigne à faire un appel sur le vhf, un pan pan. Avec mes notes de cours à la main, je me revois dans la salle de classe, un soir d’hiver, à pratiquer ces appels, alors que j’espérais ne jamais avoir à en faire un dans la vrai vie! Aucune réponse. Deuxième appelle, toujours pas de réponse. Dans nos cours, la garde côtière nous répond ou un autre bateau. Ici, rien, le silence…

Entre temps, François nous téléphone et discute avec Eric. Il connait bien ce bateau pour l’avoir eu pendant plus de 20 ans. Peut-être qu’à deux, ils trouveront une solution.

Je continue à faire des appels sur la vhf. J’interpelle les bateaux à moteur qui circulent au loin, personne ne répond. La seule réponse obtenue est celle d’un voilier à 20 milles de nous. Il ne peut donc pas nous aider. La tête entre les mains, j’essaie de demeurer positive, mais la fatigue commence à rentrer et le moral à baisser. Si au moins, il y avait un peu de vent. Si nous pouvions avancer à 1 ou 2 nœuds, nous pourrions imaginer nous rendre à Nassau pour trouver un mécanicien et nous protéger du front froid. Nous avons maintenant moins de 24 heures devant nous. 24 heures, c’est long, mais à 1 nœuds à l’heure… . Nous sommes un peu juste… et le problème c’est que pour l’instant, nous sommes toujours à 0 nœud!

Luciole nous propose de nous tirer lentement vers l’ancrage de Texaco Point dans les Berry Island. On pourra y mettre l’ancre, se reposer un peu et repartir lorsqu’il y aura du vent tôt demain matin. On s’attache et ça fonctionne. On ne va pas très vite, environ à 2 nœuds, mais on avance. Toutefois, mon cœur me dit que nous n’allons pas dans la bonne direction.

Annette me rappelle, me redonne la dernière météo car nous ne captons plus internet. Le front froid arrivera peut-être plus tôt demain matin. Si nous partons des Berry Island, même très tôt, nous risquons d’avoir du 20-30 nœuds de vent à notre arrivée à Nassau. Sans moteur, ce n’est vraiment pas la situation idéale. 
Les vents devraient augmenter cette nuit et nous permette de faire de la voile. Il est peut-être mieux de nous diriger tout de suite vers Nassau. Lorsque nous serons à 10 milles de la cote, un de leur ami pourra venir nous remorquer. Normalement, le capitaine et moi prenons les décisions à deux. C’est difficile lorsque le capitaine devient mécanicien et qu’on ne peut pas lui adresser la parole. En plus, Luciole ne veut pas nous laisser seul et je ne peux leur demander de faire une nuit blanche.
 
François nous rappelle. Son ami est prêt à venir nous chercher même si nous sommes à 25 milles de Nassau. On accepte son offre, mais combien cela coûtera? La sécurité de la famille est prioritaire. On fera face à la musique. François me demande si nous avons Boat US (Un CAA pour Bateau). Eh bien oui, mais on s’était fait dire que ça fonctionnait seulement aux États-Unis… le nom le dit. Mais non, et nous n’avions même pas pris le temps de les appeler pour vérifier.

 En effet, Boat US nous couvre, même aux Bahamas, mais ils n’ont pas de bateau pour venir nous chercher. Nous pouvons donc engager quelqu’un d’autre. Super. Enfin, des solutions! Nous informons Luciole que nous prendrons un cap vers Nassau, eux décident d’aller s’ancrer avant la noirceur. Ils détachent les amarres. On reste seul au milieu de cet infini. C’est tellement calme que les filles croient que nous sommes ancrés comme la veille. Mais non, nous avons 3000 pieds d’eau sous le bateau.

Malgré le problème mécanique, nos filles et nous aussi devons continuer à manger et à boire. Ce n’est pas le moment de tomber en panne d’énergie. Puisque je surveille ce qui se passe autour du bateau et qu’Eric a toujours la tête dans le moteur, c’est Alixia et Charline qui doivent faire le souper… quelque chose de simple… ragout de boulettes, trop loin, sachet de Sidekick, ça va. Daphné nous faire une grosse crise de larmes, car elle veut manger un sauté aux légumes… moi non plus je n’aime pas ça des sidekick. L’idée est simplement d’avoir quelque chose dans le corps qui nous soutient. On aimerait tous cent fois mieux partager un bon repas… Les émotions sont à fleur de peau. 

Enfin, on s’assoit à la noirceur tous les 6 dans le cockpit avec nos petits bols de pâtes. Une autre nuit magnifique. Tant qu’à avoir des ennuis mécaniques, aussi bien les avoir sur une telle mer. On nous avait dit que souvent, dans la langue de l’océan, les vagues pouvaient être très grosses étant donné les profondeurs. Ce soir, nous avons l’impression d’être sur un lac. La vie est tout de même bien faite.

Andy, l’ami à François nous appelle, il nous cherche. Nous réalisons que nous avons dérivé… de beaucoup! Nous sommes maintenant à 3 milles des côtes des Berry Island. On lui redonne notre position et nous faisons clignoter les Luci à bord (nos petites lanternes solaires). Le vent se lève doucement, on sort le génois. Une nuit parfaite pour naviguer. Wow, nous aurions pu filer doucement vers Nassau. 

À 19 h 15, Andy arrive, un mélange de pirate et de cowboy des mers… on se croirait dans un film. On lance nos amarres, il nous attache solidement à son bateau et on y va. On avance à 6-7 nœuds. À cette vitesse nous devrions arriver à Nassau un peu passé minuit. 

Les 4 filles se couchent dans le cockpit pour profiter du moment, de la nuit. Nous sommes un peu étranges peut-être… mais nous sommes vraiment heureux. Nous apprécions cette nuit calme, la lune. On aurait aimé traverser cette étendue d’eau avec nos voiles seulement, mais avec un moteur qui fonctionne que nous aurions décidé d’arrêter, mais la vie est ainsi. 

Eric, épuisé, se couche sur la banquette, pendant que je suis à la barre. Nous devons nous assurer que Perla reste bien derrière le bateau d’Andy. La concentration est de mise. Encore une fois, le temps ralentit. 
Je tiens la barre et je corrige le mouvement du bateau toutes les quelques secondes. Les minutes sont longues et pourtant le temps passe vite. 

J’observe la nuit autour de moi. Je vois surtout Andy, ses mains qui vérifient régulièrement la tension des amarres, son bateau et ses gros moteurs. Je lui fais totalement confiance, même si nous ne le connaissons pas du tout. L’eau est calme, par chance. On ne pourrait pas se faire tirer ainsi, à cette vitesse sur une mer agitée. 

Tout le monde dort paisiblement dans le cockpit. Sans aucune crainte. Eric se réveille vers 22 h. Après avoir parlé sur la VHF avec Renald de Luciole  qui a également décidé de naviguer durant la nuit, c’est à mon tour de m’assoupir durant près d’une heure.

Vers minuit, nous approchons du port de Nassau. Comment allons-nous pouvoir nous rendre à un quai? On verra, on verra.
Les lumières de la ville nous éclairent, on longe le magnifique site d’Atlantis. J’ai un pincement au cœur. Comme j’aurais voulu arriver à cet endroit d’une autre façon. On apprécie tout de même le spectacle, malgré la fatigue, malgré que nous savons que nous ne sommes pas encore attachés à un quai… même si nous savons que notre moteur ne fonctionne pas.

Nous traversons les deux ponts et Andy nous dit qu’il va nous détacher. Eric doit faire tourner Perla avec le courant et nous allons nous rattacher face à face. Avons-nous bien compris? Avec le bruit et l’anglais. C’est moi qui suis à l’avant du bateau, s’il fallait que je ne comprenne pas bien les instructions… Voilà, nous sommes détachés. Je ramène les amarres à toute vitesse. Elles absorbent l’eau et deviennent si  lourdes, avec toute cette fatigue accumulée. Le courant est fort, impressionnant. Perla se retourne rapidement. Je tente de relancer une amarre et je manque mon coup. Cynthia, concentre-toi. Je vois sans arrêt les deux pics du davier du bateau d’Andy. Ils pourraient poignarder Perla… Andy contrôle son bateau, se réajuste. Deuxième lancée : réussi. Merci mon dieu! Et je relance une autre amarre. Nous sommes à nouveau attachés et Andy nous tire face au courant.

J’aimerais pouvoir observer la scène à partir d’un autre bateau. Ça doit être vraiment impressionnant à voir. On se dirige vers le quai. Andy dirige son bateau de façon incroyable. Il nous fait avancer, reculer; un quai de béton me donne la frousse, mais nous reculons juste au bon moment. Le courant devrait nous faire reculer entre deux quais, mais non, il cesse complètement. Étrange. Rien à faire. Perla ne recule pas. On s’en remet complètement à Andy. 
On se dirige face à un autre quai. Il devra nous tirer et ensuite nous détacher rapidement. On avance, je n’aime pas l’angle que prend Perla… et bang dans le quai, par chance celui-ci est en bois, mais quand même…. Mon bateau. Pas vraiment le temps de penser. Andy redonne un coup de moteur, on recule légèrement. On avance, il nous détache, pour qu’il puisse ressortir sans heurter le bateau voisin. Je m’agrippe à un poteau du quai avec une amarre pour que Perla cesse d’avancer. 
Voilà, nous sommes rendus au quai… face au très beau bateau Bonaparte. Est-ce qu’un bateau peut avoir une si grande envie de revoir son ancien propriétaire? Toute la scène semble irréelle. Comment pouvons-nous avoir été tirés jusqu’ici et nous retrouver en face du bateau des anciens propriétaires de Perla? Comme s’il fallait que nous nous trouvions exactement là, à cet endroit. 

Souvent, depuis le début du voyage, nous avons l’impression d’être portés… et de nous retrouver exactement où nous devons être. Les problèmes mécaniques, les ouragans, les vols et autres soucis, on s’en passerait bien, mais ce qui s’ensuit n’est toujours que du positif…

On se couche enfin, et je repense à L’alchimiste de Paolo Coelho : « Lorsque l’on veut une chose, tout l’univers conspire à nous permettre de réaliser notre rêve. » Cela ne veut pas dire que tout sera facile… mais la vie se chargera de nous mener à bon port. Au propre et au figuré.

Cynthia







Commentaires

Unknown a dit…
Merci pour ce récit et cette leçon de vie... même loin tu es là... mais j'aimerais bien me que la vie me porte par hasard devant toi. Mais ça se fera au moment parfait... je vous aime! Xxx
Julie a dit…
Merci pour ces récits!!! Dieu se charge de tout!!! Je vous aime, xxxxxxx
Unknown a dit…
Vraiment saisissantAvec ce récit on a tout ressenti avec vous jusque dans nos tripes.
Vous êtes vraiment extraordinaires
La force est en vous.
Méli* a dit…
Ouf! Quel récit! J'ai eu les frissons tout le long et les larmes aux yeux à la fin!
Et vous nous avez convaincu de nous abonner à Boat US :)

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