25 juin: Le bilan, un an plus tard… ou simplement faire la paix
Et voilà que le temps passe… Dans quelques jours, ça fera 1
an que nous sommes de retour sur la terre ferme. À notre retour, en juillet
2017, on nous a dit qu’il fallait prévoir le même temps que la durée du voyage
pour nous en remettre… Alors est-ce qu’on s’en remet?
Oui et non.
Un jour à la fois, nos yeux s’habituent à voir les mêmes
paysages. On tente de voir les rayons du soleil qui se couche à travers les
maisons. On voit une partie du ciel qui se transforme. Les étoiles qui
commencent à scintiller. Je cherche un peu de nature dans ma ville que j’aime
pourtant. Heureusement, il y a cette allée d’érables et le bord de l’eau qui me
réconcilient.
L’automne arrive avec sa rentrée scolaire. J’étouffe pour
mes filles, mais j’essaie de ne pas le laisser paraitre. Des murs et des murs.
Des chaises, des tables. Mais où est la vie?
À la maison, les factures s’accumulent d’achats de toutes
sortes. D’abord, la liste qui n’en finit plus d’articles scolaires. Alors que
j’essaie de démêler les 4 listes, je dis à ma voisine d’allée du Jean Coutu que
durant un an, j’avais un gros paquet de feuilles mobiles et qu’avec ça, on
avait couvert pas mal de matières. Elle me regarde sans trop comprendre de quoi
je parle… je ressemble un peu à une désaxée.
S’ensuit les factures pour les manuels scolaires et pour les
activités scolaires, toujours X 4. Qui a dit que partir en voyage coûtait cher?
Tout coûte plus cher depuis que nous sommes de retour.
Je laisse mes filles partir pour l’école, certaines sont
heureuses, d’autres non. Je me sens responsable du mal de vivre profond de ma
petite Charline. Elle qui a toujours été pétillante de vie, notre épicurienne,
trouve que tout est ennuyant, sans saveur. Je tente tant bien que mal de lui
faire voir le positif, en même temps, j’essaie de me convaincre.
Par chance, elles vont à une merveilleuse école avec des
profs extra… mais il y a toujours ce cadre… trop rigide à mon goût.
Dans les faits, tout va bien. Au niveau académique il n’y a
aucun problème. Les filles n’ont pas de difficulté à se réadapter. Mais le
soir, lorsque vient le temps de se mettre au lit, j’absorbe les petites et
grandes peines de chacune de mes filles.
C’est beaucoup plus exigeant d’être à temps partiel avec ses
enfants. L’an passé sur l’eau, on ne ressentait jamais le besoin de s’éloigner
d’elles, nos filles ne nous dérangeaient jamais… Bien sûr, il y avait
des accrochages, des chicanes, mais sans plus. On était bien. Simplement.
Depuis notre retour, lorsque je vais chercher les filles à
l’école, Florane et Daphné se chicanent pour être les premières à me raconter
leur journée. Au souper, il se produit la même chose. Finalement, Alixia et
Charline ne peuvent jamais placer un mot… ou uniquement « elle me tape sur
les nerfs… »
Durant l’automne, on dirait que plus personne ne peut se
sentir. Du côté d’Eric et moi, c’est à peine mieux. On dirait qu’on ne parle
plus la même langue. On ne se comprend plus. Si un veut aller à droite, l’autre
veut aller à gauche. Alors que pendant un an, on prenait des décisions communes
sur une base quotidienne, sans jamais se disputer, on réussit à peine à décider
ce que l’on mange pour souper… Bon j’exagère, mais à peine!
Durant ces mois, je repense aux paroles d’un courtier,
navigateur d’expérience, qui nous faisait visiter un bateau, il y a de cela
quelques années. Il nous avait raconté que pour plusieurs, ce projet n’aboutissait
pas ou que le voyage avait lieu, mais que le couple ou la famille éclatait. Je
me souviens de m’être demandé pourquoi… et de m’être dit surtout pas nous…
Mais voilà qu’il semble qu’il n’y ait plus rien qui nous
unit. On n’est plus capable d’aller dans la même direction. Notre famille
éclate en mille morceaux. Heureusement, par moment, le lien revient. Je sens et
je sais qu’il y a quelque chose de plus profond… Il y a une tempête qui doit passer,
mais notre ancre est solide.
Et l’hiver revêt son manteau blanc. Je trouve ça magnifique…
tout autant que l’eau turquoise. On redécouvre le ski de fond et on est à
nouveau heureux, tous ensemble. La nature nous fait du bien, elle nous apaise.
Elle nous manque tant dans notre quotidien.
L’harmonie revient, mais je ne me réadapte pas à la vie
tourbillonnante. Pourquoi tout le monde va si vite et pourquoi personne n’a
jamais de temps? J’ai l’impression d’être à côté de la « track »,
d’être la seule extraterrestre… Et je réalise que je l’ai toujours été. La
fille un peu étrange qui démissionne d’un emploi qu’elle aime, avec des gens
extraordinaires, parce qu’elle a envie de voir ses filles grandir, les voir se
réveiller de leur sieste, les voir dessiner, voir leur gribouillage devenir un
rond avec deux bras et deux jambes et enfin ressembler de plus en plus à un
bonhomme. Vivre chacune de leurs crises. Être là pour les consoler. Voir aussi
leurs sourires, entendre leurs éclats de rire. Mais avoir un salaire en moins.
Vivre avec moins d’argent, mais vivre plus. Tellement à l’encontre de notre
société de consommation.
Pendant un an, la fille étrange était comme toutes les
autres filles étranges sur leur bateau… finalement, j’avais trouvé ma
normalité. J’y étais bien. Profondément.
Et je suis entrée dans un cours de yoga, parce que ça
faisait tellement longtemps que je voulais en faire. J’ai trouvé ça vraiment
difficile d’être sur un plancher avec un plafond en haut de ma tête. Moi qui
avais fait du yoga uniquement sur le sable du Chat’n Chill à George Town, aux
Bahamas. Moi qui avais fait des postures avec le bruit des vagues et le ciel
au-dessus de ma tête. Et j’ai pleuré, bien sûr. Pourquoi j’étais là, alors que
tout mon être voulait encore vivre de découverte en découverte? Et la prof a
répété : « nulle part d’autre où aller qu’ici et maintenant. Tout se
trouve à l’intérieur de nous. »
Pendant quelques semaines, je me suis débattue intérieurement
avec ces paroles et finalement, de cours en cours, j’ai fini par les accepter…
Accepter et faire la paix. Accepter ce qui m’entoure, ce qui me porte. Accepter
d’être celle que je suis. Accepter qu’on ne puisse pas changer le monde, mais
qu’on puisse peut-être changer notre monde. Accepter d’avoir ouvert une brèche
dans la tête et le cœur de mes enfants. Accepter que notre vie n’ait pas pour
l’instant aucune direction. Accepter que parfois, il faille s’ancrer et
patienter. Patienter et attendre que les conditions soient favorables.
Peut-être qu’en effet, pour l’instant, il n’y a nulle part
où aller et que tout se trouve en nous. Il faut réussir à se reconnecter avec
soi-même pour pouvoir se reconnecter avec les autres. Sur l’eau, ça se fait
naturellement. Le silence, l’immensité de la mer, la nature qui nous enveloppe
en continu. Sur la terre, avec notre rythme de vie, c’est plus difficile, mais
pas impossible. Tout y est, toujours, en nous. Et le voyage, en fait, ne s’arrête
jamais.
Finalement, les mois ont passé.
La chaleur est de retour, l’harmonie aussi. On apprécie à nouveau une
simple randonnée au mont St-Grégoire. Les filles s’amusent ensemble. La fin d’année
scolaire est déjà là. Le bilan scolaire est positif, nos 4 filles ont de très (très!)
beaux bulletins : la preuve qu’il est possible de sortir ses enfants du
système scolaire durant un an!
Eric et moi, on sait qu’on peut
mener bien des bateaux à bon port. Oui, il faut savoir ajuster les voiles, mais
aussi, et surtout, faire confiance à tous et à chacun. Respecter que certains
doivent par moment se recroqueviller dans un coin alors d’autres doivent sortir
respirer le grand air. Et nous savons par expérience qu’après la pluie vient
toujours le beau temps. Il n’y a pas de plus beau coucher de soleil que celui
qui survient après une journée maussade. Mais, il faut être patient, présent et
attentif pour l’apercevoir se faufiler à travers les nuages.
Perla est à nouveau sur l’eau.
Elle nous attend impatiemment pour nos vacances. Nous allons en profiter, car
nous savons que nous devrons sûrement nous rendre à l’évidence. Puisque nous
souhaitons voyager et qu’un voilier, ça ne va pas très loin en 2-3 semaines, il
nous faudra probablement lui trouver une autre famille. Mais une chose à la
fois. Pour l’instant, ce sont les vacances qui arrivent! On sera si bien dans
notre cocon, sur notre Perla.
Alors est-ce qu’on s’en remet? Pas vraiment. Mais est-ce la
véritable question? Voulons-nous nous en remettre? Après réflexion, pas
vraiment. Malgré les hauts et les bas, nous savons que ce que nous portons est
précieux. Nous n’avons plus les mêmes yeux, et nous préférons conserver ce
nouveau regard, même si parfois, il nous fait mal. Mes filles, je les vois
vraiment, avec leurs forces et leurs faiblesses, je les connais si bien, je les
aime tant. Mon chum, je l’aime profondément pour tout ce qu’il est… Parce qu’on
est conscient que la vie n’est pas toujours une mer d’huile. Parce qu’on sait
tous les deux, qu’il aime le vent, un bateau qui gite et que moi, je préfère un
bateau stable avec un vent arrière léger, mais que malgré nos différences, on peut naviguer face au vent, vent de travers et vent arrière et qu'on est toujours aussi bien tous les deux ensemble!
La dernière année a été pleine de reliefs, mais Eric me faisait remarquer que notre année sur l’eau a offert à nos filles de multiples stratégies d’adaptation.
Elles ont intégré elles aussi que le beau temps revient toujours, mais que parfois, il faut être patient, que la mer a
de multiples visages, mais qu’elle renferme toujours tant de vie et de trésors…
comme chaque être humain, d’ailleurs.
Ce « manque » ou plutôt cette remise en question
nous mènera ailleurs... exactement où nous devons être.
Bonnes vacances, prenez le temps de prendre votre temps.
Regardez ce qui vous entoure, la vie est si belle!
Cynthia
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