31 juillet: Le retour... comment faire pour revenir au quai, mais ne pas y rester?
Il y a un an exactement, on se réveillait sur le lac
Champlain. Notre premier réveil sur le lac de l’année, après un mois
complètement fou. Ce matin, Eric repart travailler, pendant que nos 4 filles
dorment toujours paisiblement dans leur lit. Il ne faut pas vivre dans le
passé, mais c’est plus fort que nous… on ne peut pas faire autrement que de
penser à « il y a un an » et les larmes coulent encore. J’ai renoncé
à les retenir il y a déjà bien longtemps.
La vie reprend son cours. On doit regarder en avant. Avec
cette année qui est imprégnée dans notre cœur. Année qui est hors du temps, qui ne semble pas exister. Au-delà de tout, nous sommes conscients du
luxe que nous nous sommes permis. Un an en famille.
Alors le retour, ça se passe comment?
On nous avait mis en garde avant notre départ. D’ailleurs,
bien des années plus tôt, alors que je travaillais pour Canal Vie, nous avions
diffusé un documentaire, qui devait d’abord être un récit de voyage autour du
monde en famille durant un an, transformé en documentaire qui sensibilisait à
la dépression trop souvent cachée chez les hommes : le père de famille
s’était tristement enlevé la vie après le retour à la vie dite normale. Cas extrême, peut-être, mais bien réel.Troublant.
L’une de mes patronnes connaissait la conjointe, la maman. Bien
sûr, Eric et moi en avions longuement discuté.
Durant notre année sur l’eau, les équipages rencontrés nous
l’ont confirmé : « On ne se le cachera pas, il y a une déprime petite
ou grande qui suit ce voyage. »
La planification du retour est donc tout aussi importante
que celle du départ. Plus facile à dire qu’à faire. Eric, en tant que bon père
de famille rationnel, m’a cassé les oreilles avec ça plusieurs mois avant notre départ.
J’avais alors de la difficulté à imaginer les mois à venir, comment pouvoir
planifier ce que nous ferions dans un an? Oui, il faut savoir planifier, mais
parfois nous n’avons pas d’autre choix que de nous laisser porter par le courant.
L’essentielle était donc de ne pas avoir de stress financier et d’avoir un peu
de temps à notre retour pour se réhabituer à la vie sur terre.
Tous les équipages vivent le retour différemment, chaque
individu le vit à sa manière. Nous sommes une famille de 6, ce qui fait 6
façons de revenir sur la terre ferme. Ça fait beaucoup d’émotions qui partent
dans diverses directions et qui s’entrechoquent par la suite.
Certaines de nos filles souhaitent retourner sur le bateau alors que
d’autres pleurent pour rester à la maison... Alors qu’auparavant, toute la
famille était heureuse de s’y rendre… même lorsque nous étions 6 sur un 25
pieds. Que s’est-il passé? Pourquoi sommes-nous si divisés? Du côté des
parents, c’est un peu la même chose. Est-ce que notre famille éclate après un
an de proximité?
Il faut laisser le temps faire son œuvre.
Avant le retour au
travail, nous nous sommes permis une ultime semaine de vacances, sur le lac
Champlain.
On rassure celles qui craignent les longues journées de
navigation : ce sera de vrais vacances cette fois-ci. Durant ces journées, la
magie opère à nouveau. Comme nous sommes bien sur l’eau! Chaque membre de la
famille voit ses souhaits réalisés : soirées en paddle board et en kayak,
promenade à l’aurore vers les pointes rocheuses de l’ile Valcourt pour un peu
de solitude et de méditation, plage, jeux, pizza à Burlington, moment avec
cousines, oncle et tante (qui viennent de s’acheter un bateau! Youpie!),
rencontres avec des bateaux-amis, rigolade, journée complète de jeux de société
en famille (oui, même les jours de pluie sont appréciés en bateau!). Une
magnifique semaine où nous avons pu savourer le bonheur de naviguer à
voile : au près, au portant et même avec le spi.
Soirée paisible à Deep Bay. Un peu de solitude pour Alixia. |
Le retour de superwoman! |
Les couchers de soleil... on ne s'en lasse pas. |
Le quatuor de canards savoure les derniers rayons de soleil de la journée. |
Wouhou! On sort le spi! |
La gang de cousines à Burlington! |
Perla VII a eu la chance de voguer sur l’eau durant un peu plus d’un an. La mise à l’eau a eu lieu le 22 juillet 2016. En cette fin juillet, à l’île Valcourt, pendant qu’Eric et moi lui frottons la bedaine,
Perla m’a chuchoté à l’oreille que c’était correct. Il était prêt, tout comme
nous. Nous pouvions le sortir de l’eau. Notre beau navire a la quille sale et
un bon nettoyage lui fera du bien. Il a connu ça, dans le passé. Perla sait
bien qu’on connait la date où l’on sort de l’eau, mais on ne sait pas toujours
quand nous y retournerons. Certains étés dans le passé se sont déroulés sous un
chaud soleil, inconfortable sur des pattes qui reposent dans la gravel…. Maintenant,
avec sa sagesse, il sait que l’attente en vaut la peine. Vaut mieux un moment
hors de l’eau que toute une vie au quai. Un entre-deux confortable certes, mais
qui n’a rien d’excitant, de spontané.
Combien d’entre nous passons notre vie au quai?
Par un beau matin, Perla sort de l'eau.... Après une magnifique année! |
Pourquoi est-il
difficile de revenir?
On nous a demandé si ce voyage avait comblé nos attentes.
Pour ma part, étrangement, je n’en avais pas vraiment. Cela me déstabilisait
même avant le départ. Mon unique souhait était de vivre en famille de façon
différente, de réussir ce périple une étape à la fois. Je crois qu’au fond, je
voulais vivre simplement, sans les contraintes de notre société.
Durant cette année, où nous nous sommes laissés porter,
où tout n’a pas toujours été rose, nous avons vécu des moments d’une telle
intensité que chaque fois une brève réflexion me traversait l’esprit.
« Est-ce possible de vivre de tels moments, d’une telle intensité, sans
être rendu à la fin de notre vie? Je vais peut-être mourir, là. » Il y a
des instants trop irréels pour être vécu de notre vivant. Est-ce ce que
certains appels des miracles? Mais, nous ne sommes pas morts. Force est
d’admettre que ces moments peuvent être vécus aussi sur notre magnifique
planète. Mais ces moments surviennent à travers la lenteur, l’attente, après de
nombreux jours où il ne se passe rien, parfois aussi après un instant où rien ne va. Ces moments ne s’achètent pas, ne se
planifient pas.
Une fois que l’on connait cette vérité, pouvons-nous revenir
« au quai »?
À Georgetown, les voiliers semblent faire leur salutation au soleil. |
Cadeau de la mer après un 24 heures pénible dans le trou du "mail boat" avec des vents violents de l'ouest!! |
Le retour
Le 25 juin dernier, nous avons foulé le sol du Québec. Mes
parents sont venus nous rejoindre à Rouses Point, nous laissant notre camion qui
nous attendait sagement depuis 11 mois. En repassant devant la marina Lennox,
il me semble que notre départ était la veille, comme si nous avions cligné des
yeux et voilà, c’était fini! D’ailleurs n’était-ce pas qu’un rêve? Mes yeux remplis
d’eau s’attardent à la station d’essence où je suis allée remplir nos bidons de
diesel tard la veille du départ, le IGA où j’ai couru acheter d’autres
bouteilles d’eau au cas où… Vraiment! 11 mois se sont écoulés depuis cette
soirée?
Notre camion se stationne chez ma grande sœur, ma grande
sœur qui me prend dans ses bras. Nous voici de retour, comme si nous n’étions
jamais partis.
Un 24 heures s’écoule à la campagne entre le terrain de ma
sœur et mon beau-frère et celui de mes parents. Mon autre sœur se joint à nous avec
sa marmaille. Il n’en manque qu’une… Le Témiscamingue la garde loin de nous!
Les retrouvailles seront pour plus tard. Nos filles courent sans arrêt avec
leurs cousins, cousines; Charline retrouve avec bonheur son lapin, Charlot.
Daphné semble étourdie, nous le sommes tous un peu. Tout va vite, tout le monde
va vite! Mes sœurs et ma mère sont tellement efficaces! Les repas se font dans
l’abondance, le comptoir est grand, la nourriture diversifiée. Des aliments de
toutes sortes de couleur!
Ça fait du bien de se
retrouver en famille, d’échanger avec ceux que l’on aime.
Retrouvailles avec une partie des cousins-cousines! |
Ah! Ce Charlot! |
La nuit est paisible, le réveil a lieu quand même à 5 h.
On repart sur Perla, on a hâte de retrouver le calme de
l’eau. Mais ça ne dure qu’un instant. Après quelques minutes, nos filles n’ont
plus envie d’être là. Sur l’eau, sur Perla. Par chance, des amis viennent nous
rejoindre en après-midi. On est heureux de retrouver les Tremblay-Vallières. On
ne voudrait plus qu’ils repartent. Toutefois, la noirceur arrive et le
lendemain, il y a une journée de travail. Ah, la vie ne se passe plus sur
l’eau. Nos amis n’ont pas que deux minutes à faire en dinghy pour retrouver le
confort douillet de leur lit, le lendemain n’est pas congé. On prend conscience
que cette vie est terminée. En même temps, d’autres amis nous écrivent pour
qu’on planifie une journée pour se voir… Planifier une journée?!
Pendant près d’un an, on a planifié nos navigations en
fonction de la météo, mais on n’a jamais planifié de journée pour voir des
gens… sur l’eau, on voit ceux qui croisent notre route. C’est ce qui réserve les plus grandes surprises… et aussi certaines tristesses de ne plus revoir certains
équipages.
Mais planifier, mettre un x sur une journée, rentrer des
gens dans un calendrier, avoir un horaire… On comprend bien que tout le monde a
une vie bien remplie et qu’il faut avoir un agenda bien organisé si on veut réussir
à voir nos amis… mais ça détonne tellement de notre vie des derniers mois.
Pendant 11 mois, chaque jour était rempli, mais il nous
était impossible de dire ce que nous allions faire 2 jours à l’avance. Le
calendrier était vide, les journées se remplissaient de moments présents
uniquement.
Il nous est difficile de voir 24 h à l’avance, alors
nous demander ce que nous faisons dans 3 semaines relève du miracle. "Un jour à
la fois" chantonne ma grand-maman dans ma tête.
Après le départ de nos amis, il pleut sans arrêt. Nous
n’avions pas vu autant de pluie depuis longtemps. Les nuages veulent nous faire
comprendre qu’il faut rentrer à la maison.
Le 29 juin, on laisse Perla et on retourne à Chambly. On a la
chance d’avoir eu une locataire extraordinaire. La maison est impeccable. On
dirait que nous revenons de 2 semaines de vacances et non pas d’un an sur
l’eau.
Les filles sont excitées de retrouver leur chambre. Daphné
et Florane sortent leurs toutous et leurs jeux… Beaucoup trop d’objets!
Les parents d’Eric viennent nous visiter. Nos filles
revoient leurs amies. Elles ne s’échangent pas trop de questions. Après un
petit moment froid, elles jouent comme si elles s’étaient vues la semaine
dernière.
Étrange sensation qu’il ne s’est rien passé encore une fois.
Avons-nous rêvé?! Alain Kalita (navigateur et auteur) vient à ma rescousse, je replonge dans son
récit : « Elle rêve avec moi ». Ses écrits me
permettent de voyager encore. Ses mots me confortent. Comme s'il y avait bien peu de gens qui pouvaient nous comprendre...
On repart sur Perla après 2 courtes journées à la maison avec
comme objectif de naviguer jusqu’à Burlington pour voir les feux d’artifice du
3 juillet. Objectif qui ne sera pas atteint. On dirait qu’on ne sait plus
comment faire pour partir, canaliser notre énergie, donner un sens à notre
équipage. Des bulles d’émotions me gagnent par moment, sans prévenir. C’est le
chaos… Alixia n’en peut plus d’être avec ses sœurs. Charline est si triste
qu’il n’y ait plus d’eau bleue. Daphné a besoin de courir, Florane trouve que
sa maison-bateau est bien plus petite que sa maison sur terre… Eric voit la
longue liste de choses à faire… et moi je rêve encore de voyages… Il faut se
rappeler que « du chaos naissent les étoiles. »
Heureusement, à travers ces heures étranges, on croise la
charmante famille du voilier Oceo qui eux sont en préparation pour un voyage de
deux ans. On échange sur leur rêve et sur le nôtre qui se termine. À travers
nos nombreux aller-retour vers le camion, on rencontre également le couple du
voilier Marie-Jeanne qui a connu les anciens propriétaires de Perla aux
Bahamas. À ce moment, les yeux de Florane et Daphné s’illuminent. Elles
racontent en détail la soirée que nous avons vécue sur Bonaparte. (Le bateau
des anciens propriétaires de Perla).
Ça me fascine. Alors qu’elles répondent à peine lorsque les
gens leur demandent ce qu’elles ont aimé de leur année, à un point tel que je
me demande parfois si elles ont aimé quelque chose ou encore si elles ont déjà
tout oublié, voilà qu’elles peuvent dire avec précision tout ce qui s’est passé
lors d’une soirée qui a eu lieu 7 mois plus tôt.
Finalement, après 2 jours au quai, nous revenons à la
maison. On apprécie notre douche chaude quotidienne, notre frigo, notre grand
garde-manger. Chaque fois que j’ouvre un tiroir, je suis impressionnée d’en
voir la grandeur.
On retrouve le bonheur de faire du vélo, d’autant plus que
maintenant, même Florane a un vélo de grand! On réapprend à vivre, pour
certains c’est facile, pour d’autres plus difficile.
Pour la première fois depuis de nombreuses années, on
ne s’en va pas dans la même direction. Eh bien, il n’y en a plus, pas pour le
moment. C’est un peu déstabilisant. Nos filles sont nées l’une après l’autre
avec ce départ prévu. Maintenant… qu’est-ce qu’on fait? On veut quoi? Pour
l’instant, c’est flou, vraiment flou.
Mais notre semaine sur l’eau nous a apaisés. On sait que
toute la famille peut encore y être heureuse. On sait que nous sommes dans un
entre-deux. Il faut laisser la poussière redescendre. Assimiler tout ce que
l’on a vécu. Laisser venir à nous tous les merveilleux moments. Pleurer des
fois, rire aussi. Et regarder vers l’avant.
Cynthia
Je vous laisse sur les derniers poèmes d'Alixia et Charline :
La terre ou la mer?
Entre la
terre et la mer
Je préfère
la mer
Je n’ai
aucune raison
Seulement,
je me sens mieux sur elle
Et puis,
elle est si belle
Sur la mer,
je suis mieux qu’à la maison
La terre
Est
ordinaire
Mais la mer
Est
extraordinaire
Pleine de
merveilles
Elle veille
À être
toujours aussi magnifique
Et aussi
magique.
Alixia
Perla, seul au monde. |
Warderick Wells |
Lee Stocking Island |
La terre ou la mer?
Moi, j’aime
mieux la mer
Parce que c’est
bien mieux que la terre
C’est vrai
que j’aime mon lapin
C’est pour
ça que j’aimerais l’amener sur mon bateau avec les animaux marins
La mer,
on dirait que c’est ma maison
Avec les
dauphins et les poissons
Je suis bien
mieux sur un bateau
Parce que je
suis sur l’eau
J’aimerais
bien vivre tout le temps sur Perla
Mais là, je
ne peux pas
Parce qu’il
faut retourner sur la terre
Parce que ça
fait un an qu’on navigue sur la mer.
Charline
Conception Island |
Conception Island |
Commentaires
Nous vous souhaitons un bon atterrissage. Il est certain que cela prend un certain temps à s'adapter à ce rythme très différent. Vous êtes privilégiés de vous être donné l'opportunité de passer un an en famille. Chacun en retirera des richesses. Des souvenirs surgiront pendant longtemps et vous feront revivre des moments fabuleux. Je suis certaine aussi que vos filles ont acquis une assurance nouvelle qui leur sera très utile dans la vie. Vous avez tous acquis aussi une grande confiance en chacun. Vous savez que vous pouvez compter l'un sur l'autre. Ce genre d'expérience est surtout une expérience humaine. Ce sont les gens qu'on rencontre qui nous marquent. Mais c'est surtout la rencontre avec soi-même qui fait la différence. Nous apprenons à mieux nous connaître et souvent décoivrons de très belles choses.
De notre côté, nous avons décidé de vendre Néméa afin de nous donner l'opportunité de vivre autre chose. C'est une grande décision mais je suis certaine que c'est pour le mieux. Nous nous adaptons doucement à la vie sur terre.
Ce fut un réel plaisir de vous rencontrer et de vous côtoyer. Continuez à rêver et à accomplir vos rêves. Je vous trouve formidables et vos filles ont bien de la chance.
Gros bisous à toute la troupe.
Les Néméens
Merci du récit!
Gilles