Nous sommes une famille de 6 qui avons eu le bonheur de vivre sur notre voilier Perla VII durant près d'un an

2 septembre : Départ de Sandy Hook et le vent qui souffle sur Cape May



Les vents soufflent déjà à 30 nœuds et Hermine est encore loin pourtant… J’espère qu’elle s’essoufflera ou ira jouer ailleurs!

Le début de la semaine s’est déroulé en toute tranquillité. Lundi matin, on tente du mieux que l’on peut d’avoir un matin d’école. Il fait excessivement chaud dans le bateau. À l’extérieur, l’odeur de poissons morts nous étourdit. Les conditions ne sont pas gagnantes pour obtenir un matin efficace. Encore une fois, Alixia et Charline persévèrent jusqu’à midi, alors que Daphné et Florane partent jouer après 2 heures. Je n’insiste pas trop. Les exigences académiques sont bien moins élevées en 2e année et en maternelle, mais j’aimerais tout de même qu’elles puissent respecter le cadre… Mais bon, même moi, je n’ai pas du tout la tête à me concentrer.

Dans l’après-midi, Eric remonte dans le mât pendant que c’est le calme plat pour vérifier les connexions de notre lumière qui ne s’allume plus depuis nos nuits mouvementées à New York. Et voilà, ça fonctionne! On part marcher sur une petite plage avec en prime les poissons en décomposition. L’endroit pourrait pourtant être si beau… On emprunte un sentier qui longe le bord de l’eau et on revient sur Perla, c’est déjà l’heure de souper.

Mardi matin, je décrète que l’horaire scolaire est modifié, car nous devons aller faire l’épicerie. Nous découvrons en même temps la charmante petite ville de Sandy Hook. Tout se trouve sur la même rue, resto, liquor store, quincaillerie (avec beaucoup de matériel nautique) et l’épicerie est tout au bout. Finalement, nous revenons seulement vers 13 h 30 sur Perla. Le temps de diner et faire la vaisselle, il est déjà 15 h… beaucoup trop tard pour commencer la journée d’école, ça ira à demain. On en profite pour aller faire un peu de voiles, car nous n’avions pas encore sorti la grande voile.

Eric installe ensuite les lignes de vie et les filles s’amusent à faire le tour du bateau tout en restant attachées. On revoit le fonctionnement de la radio VHF et les procédures en suivre en situation de danger. Il est important de revoir toutes les règles de sécurité, mais nous ne voulons surtout pas inquiéter nos filles. Tout est expliqué et décortiqué afin qu’elles comprennent bien que nous ne nous placerons jamais dans une situation de danger, mais qu’il vaut toujours mieux avoir toutes les connaissances en cas de problème.

On surveille notre météo plusieurs fois par jour pour trouver le meilleur moment pour se rendre à Cape May, sur la radio vhf et via différentes applications : Sailflow, NOAA weather forecast. Il est important, voire même essentiel pour moi, que cette sortie en mer se déroule bien et que toute la famille apprécie ce moment. Car cette première sortie en mer risque de teinter le reste du voyage. Notre fenêtre semble se dessiner pour jeudi et vendredi, mais est de courte durée. Mercredi, nous revalidons le tout. Les vents ne sont pas parfaits, mais si nous ne partons pas jeudi, nous ne partons pas avant 5-6 jours. (Hermine n’est pas encore Hermine à ce moment…).

Le départ devrait être vers 5 heures du matin, jeudi, même si l’on annonce de la pluie.

Le plan A est de partir après les orages, naviguer durant 12-13 heures, arrêter dormir à Atlantic City (car il y aura de forts vents durant la nuit) et repartir tôt le lendemain matin vers Cape May.

Le plan B est de se rendre directement à Cape May (110 milles nautiques, 22-24 heures de navigation), pour s’assurer que la dépression n’arrive pas plus tôt et nous joue des tours. Les vents forts de la nuit de jeudi à vendredi sont tout de même moins forts que ceux de la dépression qui arrive vendredi, samedi… Toutefois, idéalement, nous devons arriver de jour à Cape May pour bien voir l’entrée et nous assurer de voir tout autour de nous lorsque nous nous mettrons à l’ancre. Nous ralentirons donc notre vitesse durant la nuit pendant que nous dormons à tour de rôle.

Jeudi, 2 h du matin. Il ne pleut pas. Je suis réveillée et je me demande si nous ne devrions pas partir tout de suite… J’attends, j’attends. La pluie commence. Notre alarme sonne à 4 h 30 pendant que la pluie tombe toujours. Nous attendrons un peu. Eric se rendort, mais pas moi. Je me lève pour revérifier la météo. Ah non, mais qu’est-ce qu’il y a là?! Une tempête tropicale qui se dirige vers Cape May, mais également sur Sandy Hook. Sa trajectoire peut encore changer. À Sandy Hook, nous ne sommes pas non plus protégés et il est fortement déconseillé d’être là par fort vent du nord, nord-est… exactement la direction des vents prévus. Est-ce qu’on rebrousse chemin? Il faudrait retourner dans la rivière Hudson. Par ici, les trous à ouragan sont plutôt inexistants. Nous devons prendre la décision, là. Car après, nous n’aurons plus de fenêtre météo pour nous déplacer. On décide de garder notre plan initial, de surveiller la météo et peut-être même continuer dans la baie du Delaware vendredi.

À 6 h, nous quittons notre ancrage, bien heureux de voir qu’il y a 2 autres voiliers qui prennent la même direction que nous! La mer est calme, mais de grosses vagues se forment régulièrement, tout doucement. C’est beau à voir, mais pour des petites filles, cela met un estomac à l’envers. Par chance, la veille, j’avais préparé pleins de choses à manger : muffins, sandwichs, salades de pâtes, coupé des carottes, du cantaloup. On passe notre temps à manger et à boire de l’eau. Je surveille les 4 F qui causent le mal de mer : le froid, la fatigue, la faim et la « foif ». Les filles s’endorment à tour de rôle. Elles ne peuvent rien faire d’autre. Il est impossible de se concentrer sur des travaux scolaires ou lire un livre. J’observe cette mer immense et je pense qu’au même moment, c’est la rentrée scolaire pour mes neveux et nièces et pour toutes les amies de mes filles. C’est étrange de placer ses enfants dans une telle situation. Loin de l’école et de la normalité…

 Pour la première fois depuis le début du voyage, le temps est long. Nous sommes à moteur, car le vent est quasi inexistant. Perla avance bien, mais nous avons une grande distance à parcourir.
Dans l’après-midi, on sort le livre Chansons douces, chansons tendres et on chante un peu… toutes ces mélodies qui ont bercé les filles lorsqu’elles étaient bébés. On réussit ensuite à pratiquer les tables de multiplication. Ouh… beaucoup d’activités dans une journée!

En fin d’après-midi, les longues vagues cessent. La mer est suffisamment calme pour que l’on accepte qu’Alixia et Charline s’assoient à l’avant. À cet endroit, Charline n’a pas mal au cœur. Florane et Daphné veulent bien sûr aller les rejoindre. Elles sont toujours attachées par ce que l’on appelle une ligne de vie. (elles portent un harnais avec un mousqueton relié à une courroie qu’elles attachent à une autre sangle qui est fixée sur le voilier.)

Nous approchons d’Atlantic City. Wow, c’est impressionnant de voir cette ville qui sort de la côte avec mille lumières et de la musique. À l’apercevoir ainsi, nous nous disons qu’il serait agréable de dormir au pied de tous ces hôtels illuminés. Toutefois, après avoir revérifié la météo, nous prenons la décision de poursuivre notre route. Le plus tôt nous serons à Cape May, le mieux cela sera.

Contre toute attente, le soleil vient nous saluer avant de s’étendre doucement derrière Atlantic City jusqu’à disparaitre. Les filles reviennent dans le cockpit et on leur suggère d’aller se coucher. Florane va dans notre lit, Daphné s’étend sur la banquette. Alixia et Charline se couchent à l’extérieur. Je suis fatiguée et je me demande comment je vais réussir à rester éveillée une bonne partie de la nuit.

Alors que le soleil nous quitte complètement, le vent se lève. Enfin, nous pouvons faire un peu de voiles et soulager le moteur. Les forts vents sont annoncés vers 4-5 heures du matin, nous prenons donc la décision d’arriver de nuit à Cape May. Heureusement, nos amis de Joyride sont déjà là et nous confirment que l’entrée est bien balisée… malgré tout, on aurait préféré arriver à la lueur du jour.
Je réussis à dormir une grosse heure et ensuite, je prends le relais. Eric est tout le contraire de moi. Il s’étend et tombe endormi de façon instantanée. Je suis seule réveillée à bord. La nuit n’est pas du tout inquiétante avec le ciel étoilé et les nombreuses lumières sur la côte. Toutefois, lorsque je regarde vers l’est, l’infini de la mer et l’obscurité me paraissent plutôt terrifiants… Je pense à Damien de Pas (de la V’limeuse à Dingo ou allez voir sur internet le documentaire que sa sœur Évangéline a fait sur sa traversée en solitaire), Alain Kalita (Elle rêve avec moi), à Mylène Paquette (Dépasser l’horizon) et à tous ceux qui ont parcouru l’Atlantique en solitaire. Comme cela doit être effrayant… lorsque tu te retrouves seul avec toi-même, ton bateau et la noirceur. L’esprit peut facilement déraper. J’aimerais bien un jour avoir le courage d’affronter cette peur. Mais pas en solitaire!

Le temps s’écoule lentement. Je suis toutefois fascinée de voir à quel point notre voilier est stable une fois le génois sorti et comme il avance bien sur cette eau infinie. 1 h 30 du matin, je réveille Eric avec difficulté. Nous approchons de Cape May. Le vent forcit encore. Lorsque nous tournons vers Cape May, nous l’avons complètement de face, nous rentrons donc la voile avant. Le courant et le vent sont contre nous. Les bouées clignotantes indiquent bien le chenal, mais quand même… par chance que nous naviguons avec un GPS et que c’est Eric à la barre! Mais d’où arrive tout ce vent?! On s’en passerait. Il faut maintenant se mettre à l’ancre, mais il y a très peu d’espace. Quelques bateaux s’y trouvent déjà. Nous réveillons Alixia et Charline pour qu’elles nous aident à éclairer ou à transmettre les informations de l’avant à l’arrière du bateau. Je dois être vraiment fatiguée, car je dis calmement à Charline : va dire à papa qu'il n'y a que 6 pieds d’eau… notre bateau à un tirant d’eau de 5 pieds… On remonte l’ancre et on s’avance un peu plus. Avec tout ce vent, il est difficile de manœuvrer le bateau. L’ancre est remise et tient bien, mais Eric préfère dormir dehors. Vite, je rejoins mon lit, je me mets en petite boule et m’endors profondément. 3 h plus tard, il fait déjà clair et il vente toujours très fort. On avait remarqué les roches à la noirceur, mais nous ne voyions pas à quel point elles étaient proches.

Nous pensions fêter notre arrivée à Cape May, nous féliciter de notre belle première sortie en mer… mais nous remettons plutôt en question notre décision de s’être rendus jusqu’ici. Les vents sont trop forts pour remonter la baie du Delaware. Hermine se dirige inévitablement vers la Côte du New Jersey et notre mouillage ne nous semble pas sécuritaire. Nous pourrions rester ici et surveiller notre ancre, partir le moteur au besoin, mais il ne s’agit pas seulement de quelques heures de forts vents, mais 3-4 jours. Nous prenons donc la décision de nous rendre à la marina Utsch’s où JoyRide se trouve déjà.

Il n’est pas facile d’entrer dans cette marina, mais une fois amarrée, on s’y sent en sécurité! Nous ne sommes pas du tout du type « marina ». Nous préférons la tranquillité et l’intimé d’être à l’ancre, mais depuis notre départ, nos visites dans les marinas sont toujours agréables. On y rencontre des gens qui proviennent d’un peu partout et qui sont tous des plus intéressants.

Quelques heures plus tard, nous sommes heureux de voir arriver le voilier Djord… lui qui avait fait la route avec nous jusqu’à Atlantic City. Dès leur approche, nous leur parlons, comme si nous nous connaissions. Comme si le fait d’avoir navigué ensemble durant 12 heures faisait automatiquement de nous des amis… C’est que durant toutes ces heures, nous l’appelions notre ami-voilier de par sa présence rassurante.

Nous prenons quelques heures pour bien sécuriser notre voilier et enlever ou plier tout ce qui pourrait prendre dans le vent. Ensuite, nous partons découvrir Cape May.

Quel bel endroit, avec tous ces arbres fleuris et ces maisons victoriennes colorées! On se rend à la plage en fin d’après-midi. Ah, marcher dans le sable… quel bonheur. Les filles sautent dans les vagues et ramassent des coquillages. On parcourt ensuite la charmante rue piétonnière et revenons ensuite à la marina. Si jamais Hermine est trop mauvaise, nous aurons au moins vu, un peu, Cape May.

Aujourd’hui, pendant que le vent souffle, on en profite pour faire un matin d’école (même si c’est samedi!) et ensuite, on fait du lavage! On espère qu’Hermine se fatiguera rapidement.

Cynthia

Vue du haut du mât de la marina Atlantic Highland, baie de Sandy Hook
 
Charline a trouvé une solution pour ne plus sentir l'odeur de poissons morts.

Pour économiser l'eau de nos réservoirs, on remplie notre douche de camping à la marina
et on se lave sur le pont de Perla. Les filles n'ont jamais été aussi heureuses de se laver...

Départ très tôt en direction de Cape May.
Florane se rendort quelques minutes plus tard, toujours avec son harnais!

Le soleil tente de venir nous saluer avant la fin de la journée durant notre première sortie en mer.

Le calme sur l'océan.

Le soleil réussit enfin à se tailler une place!

Le soleil se couche derrière Atlantic City.

Un capitaine heureux!

Les roches derrière nous à notre réveil à Cape May.
Resterons-nous ici durant le passage d'Hermine?! Non!

La tension tombe à la marina Utsch's.
Bel accueil et nos filles reçoivent même une crème glacée en cadeau!

Une heure à la plage!

Charline, les oiseaux, la mer.
(j'ai toutefois vu par la suite qu'il est interdit de marcher sur ces roches... 500$ d'amende ou 90 jours de prison...)


Alixia, les cheveux au vent


Cape May et ses maisons victoriennes, de toute beauté!



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